N° 927 du Canard Enchaîné – 4 Avril 1934
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GEORGES SIMENON ou Monsieur de la Police, article de Henri Jeanson – A propos de l’enquête menée par un détective, engagé par Simenon, et chargé de résoudre le mystère autour de la mort d’Albert Prince, ancien conseillé à la cour d’Appel, lui même enquêtant sur les relations de Stavisky.
Hommage aux généraux en général et au général Fourtou du Barda en particulier, par Jean Galtier-Boissière qui signe ici son tout premier article dans le Canard. Il s’agit d’un hommage vraiment très appuyé, et savoureux à l’endroit des généraux et spécialement à l’endroit du général Albert Bardi de Fourtou qui en prend pour son grade, après avoir entre autres fricoté avec Stavisky, Oustric,…
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Hommage aux généraux en général, et au général Fourtou du Barda en particulier
Le 4 avril 1934, à peine arrivé au Canard après la démission de La Fouchardière, Jean Galtier-Boissière frappe fort : un portrait-charge du général “Fourtou du Barda”, officier de salon, parangon du militaire décoratif. Satire féroce, drôle, parfois cruelle — et pourtant, derrière ce personnage en trompe-l’œil se cachait Albert Bardi de Fourtou, futur résistant, déporté et mort pour la France en 1945. Un texte où le rire de 1934 rencontre, rétrospectivement, la gravité de l’Histoire.
Lorsque Jean Galtier-Boissière entre au Canard enchaîné au lendemain du 6 février 1934, le journal sort d’une tempête interne. La Fouchardière vient de claquer la porte après le désastre Daladier-Chiappe et l’effondrement d’un gouvernement mis à nu par la rue. Le Canard doit se réorganiser ; il choisit d’ouvrir ses colonnes à l’un des écrivains satiriques les plus en vue de l’époque, fondateur du Crapouillot, mémorialiste acerbe, antimilitariste pur jus. Son premier texte, publié le 4 avril 1934, sonne comme un manifeste : un “Hommage aux généraux en général, et au général Fourtou du Barda en particulier”, portrait-charge d’un officier de parade qui incarne, malgré lui, les ridicules d’une caste ébranlée par la crise politique.
Le “général Fourtou du Barda” que Galtier-Boissière croque ici, loufoque, cabotin, gominé, est très vraisemblablement Albert Bardi de Fourtou (1866-1945) : saint-cyrien, officier de carrière, général de brigade en 1925. En 1934, Fourtou est à la retraite, connu surtout pour ses apparitions mondaines, son entregent, ses décorations et une sensibilité politique à droite. Rien, absolument rien, ne laisse alors imaginer la trajectoire qui sera la sienne une décennie plus tard — mais Galtier-Boissière, lui, saisit l’instant présent, et c’est ce présent-là que son article déforme, aiguise et tord.
Le texte n’épargne rien : Fourtou n’est plus pour lui qu’un mannequin d’uniforme, un “tombe-chevalier” obsédé de prestige, un militaire décoratif qui passe de cocktails en conseils d’administration. Galtier-Boissière, fils de 1914, blessé trois fois, nourrit une méfiance instinctive pour les généraux d’après-guerre : ceux qui n’ont pas connu l’abattoir des tranchées et qui, dans la France déboussolée de 1934, continuent de faire rutiler leurs décorations comme si de rien n’était. L’article, long, touffu, parfois cruel, s’inscrit donc dans une tradition satirique bien identifiée : démolir les généraux de salon pour rappeler ceux qui, sur le front, payèrent la guerre véritable.
Le contexte est essentiel : depuis janvier, l’affaire Stavisky a mis le régime à nu ; la colère des anciens combattants a convergé avec les émeutes des ligues ; les Croix-de-Feu ont montré leur puissance de rue ; les gouvernements se succèdent à un rythme délirant. Dans ce chaos, les figures militaires redeviennent des points d’appui symboliques, qu’elles soient sincèrement admirées ou instrumentalisées. Fourtou, personnage exposé et bavard, offre une cible parfaite. Le Canard en profite : on ne parle pas ici de doctrine, mais d’image ; pas de stratégie, mais de mise en scène du pouvoir.
Galtier-Boissière excelle dans cet exercice. Il oppose le souvenir des “généraux de carton” de son enfance aux “généraux de papier glacé” de 1934. Tout est caricaturé : les poses, les fanfaronnades, les discours, l'inclination à se montrer partout, à “lorgner les batailles à la lorgnette”, à briller même dans l’oisiveté. Fourtou devient un archétype, un “général par décor”, une sorte de Bibendum en képi que les journaux aiment parce qu’il “photographie bien”. La satire fonctionne parce qu’elle est précise, documentée, nourrie de mille observations du monde militaire et mondain.
Mais la charge se lit aujourd’hui autrement. Car Albert Bardi de Fourtou, cet homme ridiculisé par Galtier-Boissière, aura un destin qui déjoue totalement la caricature. Rallié à la Résistance, il devient chef départemental de l’Armée secrète à Nice, participe à l’organisation des réseaux clandestins, et finit déporté à Neuengamme, où il meurt pour la France le 13 mars 1945. Il n’est donc pas seulement un général de parade : il sera aussi un homme de courage.
Faut-il pour autant édulcorer le texte de 1934 ? Surtout pas. La satire vise le Fourtou de 1934, non celui de 1944. Le Canard ne peut pas anticiper l’Histoire ; Galtier-Boissière ne juge qu’un masque social, une attitude, un personnage public. La trajectoire ultérieure de Fourtou ne contredit pas l’article — elle lui donne, rétrospectivement, une profondeur tragique : on rit de l’uniforme d’apparat, et l’on découvre dix ans plus tard que l’homme qui le portait ne s’est pas dérobé lorsque la France s’est effondrée.
En cela, ce premier papier de Galtier-Boissière marque à la fois la continuité of Canard — moquer la pompe, la pose, les ridicules du pouvoir — et la complexité de l’histoire humaine qui passe sous la satire comme un fleuve invisible. La plume est incisive, brillante, injuste parfois ; la réalité, elle, se fera plus nuancée. On ne peut complètement séparer les deux : c’est là toute la richesse de relire aujourd’hui cet article de 1934.





