N° 94 du Canard Enchaîné – 17 Avril 1918
N° 94 du Canard Enchaîné – 17 Avril 1918
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🖋️ Le Million qui n’est pas pour nous, par Henri Béraud
Quand L’Action française tend la sébile, ce n’est pas pour les poilus transis de froid, mais pour ses curés et ses polémistes. Dans une charge savoureuse, Henri Béraud démonte les ficelles de cette « souscription patriotique » qui finance surtout les ambitions cléricales et monarchistes. Entre ironie acide et exemples concrets, Le Canard met en lumière un million bien mal orienté. Les souscriptions organisées par L’Action Française ne sont plus là pour offrir des effets de laine aux poilus, mais pour offrir aux aumôniers militaires des « autels de campagne »….
Le terme, dessin de Bour
Le nouveau riche, dessin de Marcel Arnac –
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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Dans cet article de une du 17 avril 1918, Henri Béraud poursuit avec verve sa campagne contre les hypocrisies de l’Action française. Le journal monarchiste de Léon Daudet et Charles Maurras a lancé une grande souscription, censée illustrer l’ardeur patriote de ses lecteurs. Mais Béraud démonte aussitôt le procédé : ce « million » est moins une aide aux combattants qu’une habile « prime aux dédicaces », permettant aux fidèles du royalisme de faire figurer leurs noms, écus et blasons à la une du quotidien.
Avec son ironie habituelle, Béraud s’attarde sur le profil des donateurs : noblesse vaniteuse, comtesses au nom fleuri, barons ridiculement titrés. Les contributions semblent davantage dictées par le désir d’afficher son rang que par une réelle volonté d’aider les soldats. Au passage, il souligne le décalage entre la rhétorique enflammée des colonnes de Maurras – défense de la religion, de la tradition et de la patrie – et la finalité bien plus prosaïque de l’opération : renflouer un coffre-fort qui sert surtout à la propagande monarchiste et cléricale.
Le contraste avec les véritables souscriptions de guerre est mis en relief : à l’hiver 1914-1915, des appels similaires avaient permis de collecter des milliers de francs pour équiper les poilus en lainages. Mais chez Maurras et ses amis, la générosité se tourne prioritairement vers les « autels de campagne », les ciboires et autres objets liturgiques pour les aumôniers militaires. « L’eucharistie réchauffe les âmes, mais pas les fesses », ironise Béraud, raillant l’absurdité d’un choix qui privilégie le confort spirituel au détriment des besoins matériels des soldats.
Ce papier illustre à merveille la ligne du Canard durant la guerre : une vigilance constante face aux instrumentalisations patriotiques, qu’elles viennent des gouvernements, des affairistes ou des idéologues. Ici, l’hebdomadaire tourne en ridicule la prétendue ferveur monarchiste et ses mécènes plus soucieux de prestige que de solidarité.
17 avril 1918, n°94 – Lucien Laforge, « À la cave »
Avec « À la cave », publié en avril 1918, Lucien Laforge déploie toute la force de son trait satirique. La cave y apparaît comme un double symbole : lieu de refuge contre les bombardements, mais aussi sanctuaire du vin, ultime consolation des hommes en guerre. La caricature joue de cette ambiguïté : descendre à la cave, c’est à la fois se protéger et s’enivrer.
Laforge croque des silhouettes penchées sur leurs bouteilles, comme sur des reliques. Le comique est grinçant : là où l’on devrait trembler de peur, on se rassure d’un coup de verre. Mais derrière l’image, il y a une vérité populaire que le Canard assume : l’alcool est une arme de survie, un rempart contre l’angoisse, un « pain liquide » partagé entre camarades.
En transformant la cave en théâtre de la guerre, Laforge rappelle que l’ivresse fait partie intégrante de l’expérience combattante et civile. On s’y cache des obus comme des sermons moralisateurs des ligues antialcooliques. Le rire, ici, a un goût de vin un peu âpre, mais il dit l’essentiel : dans le tumulte de 1918, ce n’est pas seulement la victoire qui soutient les hommes, c’est aussi la bouteille.





