Né le 18 octobre 1882 à Saint-Louis-de-Montferrand (Gironde) et mort le 11 décembre 1974 à Ségur-le-Château (Corrèze), André Géraud, plus connu sous son pseudonyme de Pertinax, fut l’un des journalistes français les plus marquants du premier XXᵉ siècle dans le domaine des relations internationales.
Aux débuts : un « bourreur de crânes »
Formé au journalisme politique et étranger, Pertinax dirigea le service étranger de L’Écho de Paris, quotidien nationaliste et conservateur. Son style, sérieux en apparence, se nourrissait volontiers de chiffres et d’analyses se voulant scientifiques. Mais il devint dès la Grande Guerre une cible de Maurice Maréchal et de La Lanterne du bouif. Dans la chronique des « Bourreurs de crânes » du Canard enchaîné du 5 décembre 1917, Maréchal le prend pour exemple : Pertinax, voulant donner de la crédibilité à un article sur la production de lin en Russie, transforme le poud (unité russe valant 16,381 kg) en une tonne entière. Résultat : une production artificiellement multipliée par soixante, typique de la manipulation statistique destinée à « impressionner » l’opinion.
Ce genre d’excès valut à Pertinax d’être raillé comme l’un des champions de la fausse nouvelle. L’ironie veut que le Canard, qui se plaisait à le ridiculiser, le recruta quelques années plus tard.
Le Canard enchaîné et Pertinax : de la satire à la collaboration
À la une du Canard du 4 janvier 1922, on lit encore un portrait féroce : l’hebdomadaire se réjouit de l’avoir récupéré après son renvoi de l’Écho de Paris, où ses dépêches approximatives avaient failli brouiller la France avec l’Italie. L’article souligne, faussement solennel, que « son manque de sérieux » et « son absence de scrupule » faisaient de lui un collaborateur tout désigné pour le Canard. Une manière de persister dans l’ironie.
Pourtant, trois ans plus tard, de 1925 à 1929, Pertinax deviendra bel et bien un collaborateur du Canard enchaîné. Ce retournement illustre l’ambiguïté du journal : moquer sans relâche les travers des journalistes tout en s’offrant parfois leurs services, pour mieux jouer des codes de la presse sérieuse et les retourner contre elle.
Carrière et engagements politiques
En dehors du Canard, André Géraud mena une longue carrière de journaliste spécialisé dans les affaires étrangères. Nationaliste, marqué à droite, il combattit néanmoins toutes les formes de fascisme. Il collabora au Daily Telegraph, puis au Temps, et rejoignit L’Ordre d’Émile Buré à la fin des années 1930 pour lutter contre l’esprit munichois. Il fut aussi rédacteur à la revue L’Europe nouvelle à partir de mars 1938.
Son hostilité ouverte à Franco, que soutenait une partie de la presse française, notamment L’Écho de Paris, le marginalisa. Pendant l’Occupation, il s’exila à New York. En 1943, il publia Les Fossoyeurs, un ouvrage retentissant qui reste une référence sur la France des années 1930, ses élites militaires et politiques, et le rôle de la presse dans la défaite.
Après-guerre et fin de carrière
De retour en France après la Libération, Pertinax collabora à France-Soir, sous la direction de Pierre Lazareff, poursuivant son rôle de commentateur des affaires internationales. Il conserva jusqu’à la fin de sa vie une réputation de journaliste informé, parfois péremptoire, mais respecté pour ses analyses de politique étrangère.
Héritage
L’histoire de Pertinax illustre les paradoxes du journalisme français de l’entre-deux-guerres : homme de droite, nationaliste, mais antifasciste ; journaliste de prestige, mais parfois approximatif ; cible préférée de la satire du Canard, mais aussi, ironie suprême, l’un de ses collaborateurs. Cette trajectoire explique pourquoi son nom reste attaché à la fois aux excès du « bourrage de crâne » et à une certaine tradition d’expertise journalistique.





