🎬 10 mai 1950 : M. Teitgen est pour le cinéma Cauchon
Quand Tréno enterrait le septième art sous la cendre des censeurs
En ce 10 mai 1950, Le Canard enchaîné choisit la provocation en Une :
« M. Teitgen est pour le cinéma Cauchon »
C’est avec ce titre féroce que l’hebdomadaire satirique fustige le ministre de l’Information Pierre-Henri Teitgen, accusé d’avoir allumé l’autodafé contre le cinéma français. En une page — magistrale — signée R. Tréno, Le Canard annonce :
« Le cinéma français est mort… M.R.P. à ses cendres ! »
🎞️ Le cinéma tonsuré : Teitgen, nouveau Pie 13 ?
Sous couvert de réforme, Teitgen vient de signer un décret renforçant la censure cinématographique, en y ajoutant des représentants des « associations familiales », autrement dit les courroies de transmission de l’Église catholique.
Tréno s’en donne à cœur joie :
« Un souffle nouveau va passer sur le cinéma français. Ce qu’il va advenir de celui-ci ? Le Canard vous en offre un avant-goût aujourd’hui. »
Et ce « goût » n’a rien d’un parfum de liberté. Dans un photomontage génial, Teitgen est représenté en pape autoproclamé du 7e art, trônant en Pie-Erre-Henri Ier sur un siège pontifical. Le texte, lui, évoque une censure morale digne des plus sombres époques :
« Nous vous prions de croire que M. le contrôleur des Courtillons ne va pas chômer. Pas de vacances pour le pudibond. »
🙏 La famille, cette cellule de contrôle
Sous l’ironie, une critique politique. Le M.R.P. (Mouvement Républicain Populaire), pourtant démocrate-chrétien, gouverne alors avec le soutien de la gauche modérée. Mais pour le Canard, il mène une guerre de l’ombre contre les libertés :
« Moraliser les Français, ça consiste à les priver de ce qu’ils aiment. »
Et ce qu’ils aiment, ce sont les films que la nouvelle commission (influencée par des abbés, dames patronnesses et censeurs professionnels) va désormais pouvoir interdire ou mutiler, au nom d’une morale rétrograde. La Bête humaine, Les Visiteurs du soir ou Le Diable au corps sont déjà dans le viseur.
🎭 M.R.P. = Mort Réglée du Progrès ?
Le Canard imagine les génériques de demain :
« Avec Mgr Feltin, le R.P. Riquet, le curé de Saint-Pierre du Gros-Caillou… »
Tréno voit dans cette reprise en main une tentative pour « tonsurer » l’écran, assujettir le cinéma à la tradition, au sacrifice, au conformisme — une censure d’autant plus insidieuse qu’elle se veut hygiéniste et familiale.
🕯️ 75 ans plus tard : quand l’écran tremble encore
Aujourd’hui, en 2025, alors que certains réclament encore des commissions de vigilance, des contenus « adaptés » ou des films « responsables », il n’est pas inutile de relire Tréno. Ni de se souvenir qu’un certain M. Teitgen, juriste impeccable et républicain sincère, fut aussi à l’origine de la plus théocratique des atteintes à la liberté d’expression.
Et que ce 10 mai 1950, Le Canard enchaîné se fit à la fois nécrologue du cinéma français et vigile de sa résurrection.