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La Mare aux Canards

Herriot, la vie chère et les « mesures énergiques »
17 septembre 1924

La flambée des prix sous la Troisième République

À l’automne 1924, la France sort tout juste de la guerre mais reste engluée dans une économie fragile. L’inflation grignote le pouvoir d’achat, et la « vie chère » devient un thème central des débats politiques. Le président du Conseil, Édouard Herriot, chef du Cartel des gauches arrivé au pouvoir en mai, promet de s’attaquer de front à la spéculation et aux abus des commerçants.

C’est dans ce contexte que Le Canard enchaîné du 17 septembre 1924 publie trois textes réunis par un fil conducteur : la lutte contre la vie chère. À sa manière, caustique et burlesque, le journal se fait le miroir d’un mécontentement populaire en tournant en dérision les promesses gouvernementales.

Jules Rivet : un sketch sans fin contre la spéculation

En une, Jules Rivet orchestre une pièce de théâtre satirique intitulée « M. Herriot sur la piste des vrais responsables », qualifiée de « sketch répressif, social et sans fin ». Dans son bureau de la présidence du Conseil, Herriot convoque tour à tour les représentants de la meunerie, de l’épicerie, de la crémerie et de la boucherie.

À chaque scène, le procédé est identique : Herriot accuse, les commerçants se défendent en justifiant les hausses, et la discussion se termine par une pirouette. Le pain trop cher ? C’est la faute du blé. Le sucre à quatre francs le kilo ? Les épiciers haussent les épaules. Le beurre à quinze francs ? Les crémiers jurent que c’est déjà une faveur. Quant à la viande, vendue vingt francs le kilo, elle achève de mettre le ministre au bord de l’apoplexie.

La pièce s’achève sur un Herriot accablé, « tombé sur son bureau », face à une hausse présentée comme inéluctable. Rivet souligne par l’absurde l’impuissance de l’action publique : le gouvernement peut bien tonner contre les prix, ce sont toujours les commerçants qui fixent la note.

« Une excellente mesure » : le compliment ironique

En contrepoint, le billet intitulé « Une excellente mesure » adopte un ton faussement sérieux. On y explique qu’Herriot, pour encourager les « commerçants honnêtes », obtient des juges d’instruction qu’ils prononcent… des non-lieux dans les affaires de fraude ou de spéculation. Autrement dit, pour accroître le nombre de commerçants vertueux, on blanchit ceux qui étaient poursuivis !

Le Canard tire ainsi à boulets rouges sur les contradictions du gouvernement, qui se targue de sévir contre la vie chère tout en ménageant ceux qu’il prétend surveiller. Le compliment du titre est, bien sûr, une pique : cette « mesure » ne peut qu’aggraver le problème.

La Fouchardière et ses « mesures énergiques »

Enfin, dans sa chronique de l’Œil de Bouif, Georges de La Fouchardière pousse l’ironie jusqu’à l’excès avec un texte intitulé « Mesures énergiques ». Tout part d’une scène de comptoir où Bicard et son interlocuteur discutent des promesses d’Herriot de « faire baisser le prix de la vie ».

Mais Bouif n’y croit guère. Il rappelle que, déjà sous Poincaré, les ministres multipliaient les annonces sans effet. Pire encore, chaque annonce provoquait une hausse immédiate, les commerçants s’empressant de « rajouter une étiquette ».

Alors, que faire ? Bouif propose sa recette : accrocher les bouchers « par le fond de leur tablier » aux crochets de leurs boutiques, et plonger les épiciers « tête première dans leurs tonneaux de mélasse ». Un supplice imaginaire qui, selon lui, serait la seule « mesure adéquate » pour dissuader les fraudeurs.

L’excès fait sourire, mais traduit bien la colère des consommateurs face à une hausse des prix vécue comme un racket.

De 1924 à aujourd’hui : l’actualité de la « vie chère »

Ces trois textes témoignent de la manière dont Le Canard enchaîné aborde un sujet grave — l’inflation et la difficulté des ménages à boucler leurs fins de mois — par le détour de l’humour. La pièce de Rivet, le billet ironique et la verve de La Fouchardière composent un triptyque où l’on rit des ministres impuissants, des commerçants rapaces et des mesures dérisoires.

Un siècle plus tard, le parallèle est saisissant. Depuis 2021, la flambée des prix de l’énergie et de l’alimentation a remis la « vie chère » au cœur du quotidien et du débat politique. Les annonces de « boucliers tarifaires », de « chèques énergie » ou de « panier anti-inflation » résonnent comme autant d’échos lointains aux promesses d’Herriot. Et, tout comme en 1924, les consommateurs oscillent entre colère et résignation, constatant que l’inflation se vit d’abord à la caisse, dans le prix du pain, du beurre ou du steak haché.

L’ironie du Canard enchaîné de 1924 garde ainsi toute sa force : quand la politique promet de juguler la vie chère mais se heurte aux mécanismes du marché et aux intérêts privés, il ne reste souvent que la satire pour dire tout haut ce que les citoyens murmurent tout bas.


* Dessin de Pedro publié dans l’édition du Canard enchaîné du 17 septembre 1924