Mais alors, à quoi sert M. Foccart ?
Un conseiller de l’ombre dans la lumière
Le 23 juillet 1969, R. Tréno publie dans Le Canard enchaîné un article au titre provocateur : « Mais alors, à quoi sert M. Foccart ? » À cette date, l’hebdomadaire satirique a déjà consacré plusieurs unes et enquêtes à Jacques Foccart, l’homme des basses œuvres du gaullisme, dont la célèbre « commode » truffée de micros à l’Élysée a fait scandale quelques semaines plus tôt – Le Canard du 4 juin – Si Tréno interroge, c’est pour mieux exposer : en une chronique ciselée, il démonte la figure du conseiller officieux devenu intouchable.
Le procès Foccart contre Le Canard : un révélateur
À l’époque, Foccart poursuit le journal en justice pour diffamation. Une attaque en règle qui permet au Canard de redoubler d’ironie et de contre-feux. Tréno cite la prose ampoulée de l’avocat de Foccart, Me Jarry, qui déplore que son client soit victime d’un « mythe ridicule ». Mais plus Tréno cite, plus il enfonce le clou : en cherchant à faire taire le palmipède, Foccart ne fait que confirmer ce qu’il voudrait démentir. Et au fond, la question posée reste entière : si Foccart ne fait rien, pourquoi est-il toujours là ? Et s’il fait quelque chose, de quoi s’agit-il exactement ?
L’ombre portée de la Françafrique
Le journaliste rappelle que Foccart n’est pas seulement un conseiller, mais le pivot d’un système d’influence tentaculaire en Afrique, une sorte de préfet postcolonial, au service du général. Sa fonction officielle – secrétaire général pour la Communauté – ne dit rien de ses pouvoirs réels. R. Tréno évoque « une police parallèle », des réseaux d’agents, des affaires troubles, sans jamais nommer de faits précis, mais en tissant habilement un portrait en creux : celui d’un homme qui agit sans jamais apparaître.
Un homme sans visage, ou presque
L’article tourne autour d’une contradiction : Foccart est à la fois omniprésent et insaisissable. « M. Foccart existe-t-il vraiment ? », demande Tréno, feignant le doute. Et d’ajouter : « Toujours est-il que poursuivant le Canard, ce personnage se montre, comme on dit, courageux, mais pas téméraire. » La phrase claque comme un verdict : le procès devient l’occasion de mettre en pleine lumière ce qui opérait dans l’ombre. Car une fois Foccart sur le devant de la scène judiciaire, il ne pourra plus se cacher derrière son silence proverbial.
Quand satire rime avec contre-pouvoir
Au-delà de la figure de Foccart, c’est la nature même du pouvoir gaullien que l’article interroge. Tréno rappelle que l’appareil d’État fonctionne encore, en 1969, sur des logiques de secret, d’autorité verticale, et d’hommes providentiels. La Cinquième République tolère – ou alimente – des réseaux parallèles, dans un flou institutionnel inquiétant. À travers le style incisif, l’humour froid et les citations détournées, R. Tréno joue le rôle du démystificateur.
Une chronique exemplaire du Canard
Par cet article, Le Canard enchaîné montre une nouvelle fois ce qu’il sait faire de mieux : mettre à nu les impostures, démonter les légendes officielles, et rappeler que la démocratie exige plus que des institutions solides – elle a besoin de vigilance, de contre-pouvoirs, et de journalistes indociles. En juillet 1969, ce ne sont pas les députés qui interpellent Foccart, mais un canard à grandes ailes, armé de sa plume.