De l’épectase avant toute chose, par Gabriel Macé – Jean Daniélou (1905 – 1974) est un prêtre jésuite, théologien de renom, connu pour ses positions très conservatrices, fait cardinal par le pape Paul VI en 1969 et élu à l’Académie française en 1972. Il meurt d’un arrêt cardiaque le 20 mai 1974 au domicile de Gilberte Santoni (56 rue Dulong, Paris 17ème), dite « Mimi », gente blonde de 24 ans, entraîneuse de cabaret. Situation embarrassante pour cet homme d’église. Officiellement, il était venu apporter de l’argent à cette femme pour lui permettre de payer un avocat capable de faire sortir son mari de prison.
Mme Santoni témoigne: « il est arrivé très essoufflé, a demandé dès son arrivée à ce que la fenêtre soit ouverte, s’est assis sur le divan puis s’est écroulé sur le sol; sa mort fut instantanée ». Outre la police, dépêchée sur place, les jésuites ouvrent une enquête, pour établir les faits. Mais le silence qui va entourer cette affaire déclenche des soupçons et des railleries: la dame Santoni ayant reçu le saint homme en peignoir de bain, venait-il la confesser ?
Dans son éloge funèbre, le prêtre jésuite Xavier Tilliette indique que c’est « dans l’épectase de l’Apôtre qu’il est allé à la rencontre du Dieu vivant ». L’épectase est un terme théologique qui désigne, pour les chrétiens, l’effort de l’âme vers la sainteté. Évidemment, le terme fit bien rire au Canard enchaîné, compte tenu des circonstances du décès du prélat, « Ah oui, l’épectase ! »,
déclenchant les protestations de l’épiscopat. Alors, le rédacteur en chef du Canard, Gabriel Macé – promu pour l’occasion Révérend Père de la Compagnie de l’Épectase – écrit dans le numéro 2800 du 26 juin 1974: « c’est toujours la même antienne, nous sommes des affreux jojos qui ne respectent pas la vie privée et qui se répandent en sous-entendus égrillards. En somme, nous avons voulu nuire à la mémoire du cardinal. On va même jusqu’à dire que nous avons voulu mener campagne contre le célibat des prêtres ! ».
Toujours est-il que Le Canard a contribué à élargir la signification de ce mot: l’épectase n’est plus seulement, chez les chrétiens, la tension de l’homme vers Dieu, mais la mort en tension de l’homme de Dieu dans l’extase…!
SP