Chronique insolite aujourd’hui puisqu’on évoque un numéro fantôme, celui du 29 mai 1968, qui n’a pas pu paraître, compte tenu des « événements » du moment.
La dernière absence du Canard enchaîné en kiosque – 4 numéros successifs non parus – remonte à février / mars 1947, à cause d’une grève des rotativistes et typographes, qui vit la disparition des Messageries françaises de presse, fondées en 1945, et leur remplacement par les Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne (NMPP), opérées et détenues à 49% par Hachette.
Il y eut aussi la longue période de l’occupation, qui priva les Français de l’hebdomadaire satirique, du 5 juin 1940 au 6 septembre 1944.
Déjà, une semaine auparavant, le numéro 2483 du 22 mai 1968 avait connu une diffusion partielle (les abonnés, notamment, ne le reçurent pas) et ne comportait que 6 pages au lieu de 8.
Dans le numéro du 5 juin 1968, la rédaction du Canard fournit aux lecteurs une explication sur cette perturbation : « La grève du Livre n’a pas affecté les quotidiens, mais seulement les hebdomadaires et les périodiques. Tout en se félicitant de la puissance du mouvement revendicatif qui vient d’animer le monde du travail, le Canard aurait évidemment souhaité que la presse d’opinion hebdomadaire puisse faire entendre sa voix dans cette période historique. Il est vraiment regrettable que, dès le premier jour, le Syndicat de la Presse hebdomadaire parisienne n’ait pas tenté de négocier avec la Fédération du Livre pour éviter cette ségrégation. Hélas ! Le président de ce Syndicat, Monsieur Amaury, n’avait même pas jugé bon de rester à Paris ! ».
Cette explication a l’avantage de préserver l’image d’un Canard allié naturel du monde ouvrier, soixante-huitard, engagé aux côtés des grévistes. De plus, « le Canard, comme toujours, a préféré observer la règle », c’est-à-dire de ne pas casser la grève en allant se faire imprimer (sous-entendu comme d’autres) à l’étranger ou dans des imprimeries clandestines.
Une autre explication existe et a trait aux rapports très tendus entretenus par le Canard avec le Syndicat du livre-CGT d’une part, et la presse communiste depuis plusieurs années, d’autre part.
A noter aussi les remerciements adressés au journal Combat (Philippe Tesson en étant le rédacteur en chef), qui accueillit des journalistes du Canard dans une tribune libre de 4 pages.
Commercialement, le numéro 2486 du 19 juin 1968, précédé le 17 d’un numéro spécial exceptionnel de 16 pages, connut le plus fort tirage de l’année (~ 30% de plus que la moyenne), de quoi compenser le manque à gagner de ce numéro fantôme.
SP