N° 213 du Canard Enchaîné – 28 Juillet 1920
N° 213 du Canard Enchaîné – 28 Juillet 1920
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La Justice passe
En juillet 1920, Le Canard enchaîné rappelle qu’il n’a « ni publicité ni silence à vendre ». Tandis que la presse française détourne pudiquement les yeux, Maurice Maréchal salue un fait rare : la condamnation de grands patrons accusés de spéculer sur la vie chère. Un coup de bec acéré contre le silence intéressé des journaux et une démonstration du rôle singulier du Canard, libre de ses mots parce qu’il est libre de ses ressources.
Réception de M. Raoul Villain à la Monnaie
En juillet 1920, Le Canard enchaîné raille avec son ironie habituelle la « réception » imaginaire de Raoul Villain à la Monnaie. L’assassin de Jean Jaurès, récemment acquitté, devient sous la plume des satiristes un héros grotesque accueilli en grande pompe par le commerce parisien et l’Action française. Un article corrosif qui dénonce à la fois l’injustice de l’acquittement et l’emprise de l’extrême droite sur une République déboussolée.
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Dans son édition du 28 juillet 1920, Le Canard enchaîné publie un article signé Maurice Maréchal, fondateur du journal, sous un titre lapidaire : « La Justice passe ». L’affaire évoquée est révélatrice de l’après-guerre : la flambée des prix, alimentée par des pratiques spéculatives de certains grands magasins, provoque une indignation publique. Le gouvernement, pressé d’agir face à la colère populaire, engage alors des poursuites contre plusieurs administrateurs de maisons prestigieuses comme les Galeries Lafayette, le Bon Marché ou le Louvre.
L’événement est exceptionnel, car il marque une rupture avec une tradition de mansuétude. Les « gros », comme on disait alors, échappaient souvent aux sanctions, protégés par leur puissance économique et leurs liens avec les élites. Le garde des Sceaux, dans un geste remarqué, avait pourtant promis que « cette fois » la justice suivrait son cours. Beaucoup n’y croyaient pas. Et pourtant, écrit Maréchal, les condamnations sont tombées : des notables ont été déclarés coupables et sanctionnés, notamment par la déchéance de leurs décorations de la Légion d’honneur.
Mais l’article ne s’arrête pas à ce constat. Fidèle à la mission satirique du Canard, Maréchal pointe le silence suspect de la grande presse. D’ordinaire prompte à s’emparer du moindre fait divers, elle se montre ici étrangement discrète. La raison, suggère-t-il, est limpide : ces journaux vivent de la publicité et des subsides des grands magasins mis en cause. On ne mord pas la main qui vous nourrit.
Ce silence généralisé permet au Canard d’affirmer son indépendance. Sans publicité, financé par ses lecteurs et rien d’autre, il peut donner de la voix là où d’autres se taisent. Maréchal en profite pour rappeler avec fierté cette singularité : « On n’achète ni sa publicité ni son silence. » Une formule qui résume à elle seule le positionnement du journal depuis ses débuts en 1915 : une presse satirique et libre, affranchie des pressions économiques.
Historiquement, cette affaire s’inscrit dans la lutte contre la vie chère qui traverse toute l’Europe d’après-guerre. La hausse brutale des prix alimente grèves, manifestations et un climat social tendu. En France, l’opinion exige que l’État agisse contre les profiteurs. La condamnation de figures comme Théophile Bader, cofondateur des Galeries Lafayette, a donc une forte portée symbolique, même si beaucoup soupçonnent déjà que des amnisties viendront tôt ou tard atténuer la sévérité des juges.
En publiant cet article, Le Canard enchaîné s’érige non seulement en chroniqueur de l’actualité, mais aussi en vigie démocratique. Sa plume ironique dévoile les connivences de la presse et rappelle qu’une justice digne de ce nom ne doit pas épargner les puissants. En pleine tourmente économique et sociale, ce coup de bec fait mouche.
À la une de l'édition du 2 avril 1919, Le Canard enchaîné consacrait une page entière à un sujet qui fit scandale : la libération de Raoul Villain, l’homme qui avait assassiné Jean Jaurès, le 31 juillet 1914, quelques jours avant le déclenchement de la Grande Guerre. Son procès, ouvert en mars 1919, avait abouti à un verdict qui laissa abasourdie une large partie de l’opinion : acquittement pur et simple. Le meurtrier de l’apôtre de la paix sortait blanchi, tandis que la mémoire du tribun socialiste était, elle, encore en proie aux divisions politiques.
Le 20 juillet 1920, l’article du Canard imagine une réception solennelle offerte à Villain à la Monnaie, comme s’il avait été honoré en grande pompe pour ses « services rendus à la nation ». Tout y est : discours officiels, applaudissements, félicitations du commerce parisien et de la Chambre de commerce, références appuyées à l’Action française et à Léon Daudet, figure de proue du nationalisme monarchiste. On feint même de croire que Villain aurait contribué à défendre « la monnaie blanche » contre les ennemis de l’intérieur.
La satire repose sur une ironie mordante : Villain est présenté comme un patriote triomphant, accueilli comme un héros dans les salons de la République. Mais derrière la farce, le journal pointe une réalité politique dérangeante. Dans la France de l’après-guerre, où la peur du bolchevisme nourrit la répression des grèves et où les ligues nationalistes gagnent du terrain, un assassin d’extrême droite peut bénéficier d’une indulgence inouïe.
Le contraste est flagrant. D’un côté, Villain, meurtrier de Jaurès, est libéré et presque fêté. De l’autre, des cheminots grévistes ou des militants syndicalistes subissent la prison, l’exil ou la répression militaire. Ce deux poids deux mesures, le Canard le met en évidence en forçant le trait, en inventant une cérémonie imaginaire dont les détails rappellent les fastes officiels habituellement réservés aux grandes personnalités.
Cet article illustre parfaitement la mission satirique du journal : retourner les codes du reportage pour dénoncer l’injustice et l’hypocrisie du pouvoir. En feignant de décrire une scène protocolaire, Maréchal et son équipe soulignent l’absurdité d’un système où les criminels d’extrême droite trouvent grâce, tandis que les défenseurs du mouvement ouvrier sont voués aux gémonies.
L’affaire Raoul Villain demeurera comme l’un des symboles de l’injustice de l’après-guerre. En 1920, Le Canard enchaîné rappelle avec une plume caustique que, derrière les mascarades officielles, la République pouvait parfois tourner le dos à ses propres valeurs.





