N° 251 du Canard Enchaîné – 20 Avril 1921
N° 251 du Canard Enchaîné – 20 Avril 1921
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Mlle Cécile Sorel a eu raison – La beauté a des droits. Or, je suis baelle, et le temps seul…etc.
Quand le Canard se moque d’une tragédienne outragée
En avril 1921, Paris rit d’une querelle « bien parisienne » : l’actrice Cécile Sorel, sociétaire de la Comédie-Française, se dit offensée par une caricature signée Bib et menace la justice. Le Canard enchaîné, fidèle à son goût pour les cabales mondaines, s’empare de l’affaire. En une, Victor Snell ironise sur cette « beauté » qui exige des droits. En page 3, Maurice Coriem pousse le trait : pourquoi ne pas installer la comédienne sous une cloche de verre, consacrée par décret comme « patrimoine national » ? Avec Guilac au dessin, la satire est totale. Plus qu’un simple épisode mondain, le scandale devient un révélateur : quand la République honore ses morts au Panthéon, certains rêvent d’y faire entrer la Beauté… sous la forme d’une actrice en robe à paniers.
Cécile Sorel. par Victor Snell – Nous les avons trouvés, l’Huissier et le Gendarme ! par Jules Rivet – Ajoutons quelques aiguilles à nos montres, par Roger Brindolphe – Le culte nouveau: Consécration solennelle de la Beauté de Mlle Cécile Sorel, par Maurice Coriem –
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Le 20 avril 1921, Le Canard enchaîné consacre une bonne part de son numéro à ce que ses rédacteurs appellent, non sans malice, un « culte nouveau » : la Beauté incarnée par Cécile Sorel. Sociétaire de la Comédie-Française, figure mondaine et actrice réputée autant pour son talent que pour ses extravagances, Sorel venait de s’en prendre à un caricaturiste alors très en vue, Bib, coupable selon elle de l’avoir représentée sans grâce.
L’affaire, relayée à grand bruit par Comœdia depuis le 15 avril, avait enflammé le Tout-Paris. Assignation en justice, bris de la vitre protégeant le dessin au Salon des Humoristes, enchères publiques et médiations d’un sénateur du Lot : tout cela composait un feuilleton idéal pour la presse satirique. Le Canard, qui ne pouvait manquer pareille cible, s’est donc fendu d’une charge collective : Victor Snell en une, Maurice Coriem en page intérieure, et Guilac au dessin.
Snell : « La beauté a des droits »
Victor Snell, plume régulière du journal, s’attaque frontalement à l’argumentaire de l’actrice. Sorel affirmait haut et fort que la Beauté ne pouvait être tournée en dérision, car elle représentait un bien supérieur, presque sacré. Snell retourne l’argument en dérision : si la Beauté a des droits, c’est qu’elle est une institution, et il convient alors de la juger à l’aune de la République – avec son cortège de décrets et de cérémonies officielles. La comédienne devient, par ce jeu de miroir, une sorte de monument national… de pacotille.
Coriem : « Culte solennel »
En page 3, Maurice Coriem enfonce le clou. Il imagine une véritable cérémonie de consécration : Cécile Sorel installée sous cloche de verre, exposée comme une relique dans un musée national, protégée par la police et honorée par les écoliers. Le texte est d’une ironie savoureuse, pastichant le ton des décrets officiels et des inaugurations de monuments. La beauté de Sorel devient « d’utilité publique », au même titre que les musées, les casernes ou les cimetières.
Ce renversement est d’autant plus piquant que la France, à ce moment précis, s’apprête à honorer d’autres figures par des rituels solennels : le Soldat inconnu, choisi quelques mois plus tôt, doit entrer sous l’Arc de Triomphe. Entre mémoire des morts de 14-18 et « culte de la Beauté », le contraste est cruel – et voulu.
Guilac : le trait décisif
Le dessin de Guilac parachève la charge. Sous une cloche de verre, Sorel trône en robe d’apparat, figée, entourée d’une foule d’admirateurs grotesques, les yeux exorbités. La beauté, ainsi muséifiée, devient caricature d’elle-même. Ce n’est plus Bib qu’il faut défendre : c’est la satire, en tant que droit imprescriptible d’une presse libre, contre les vanités mondaines.
Un écho des années folles
Cette double attaque illustre bien le rôle du Canard enchaîné dans le Paris des années 1920 : tenir à distance, par le rire et la dérision, les grandeurs autoproclamées. La société sort à peine de la guerre, la République panse ses plaies, et déjà le boulevard s’enflamme pour des querelles d’ego. Le journal ne s’y trompe pas : derrière l’affaire Sorel, il y a une satire du parisianisme, ce travers fait de cabales médiatiques et de scandales éphémères.
En célébrant ironiquement Cécile Sorel comme on inaugure un monument, le Canard rappelle qu’il n’y a pas de « droits de la Beauté », seulement des droits du rire. Et que la satire, aussi cruelle qu’elle paraisse aux intéressés, reste l’un des garde-fous les plus précieux de la vie démocratique.





