N° 343 du Canard Enchaîné – 24 Janvier 1923
N° 343 du Canard Enchaîné – 24 Janvier 1923
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24 janvier 1923 : le Sénat monte sur le ring
Quand Jules Rivet raconte la bataille parlementaire comme un combat de foire
Dans Le Canard enchaîné du 24 janvier 1923, Jules Rivet décrit une séance du Sénat qui tourne à la mêlée générale. Sous sa plume, les “Pères conscrits” deviennent pugilistes, les débats s’enveniment et la République ressemble à un cirque. Une chronique hilarante et féroce sur l’état moral d’une classe politique déboussolée à l’heure de l’occupation de la Ruhr.
Dans la Ruhr – occupation pacifique, dessin de Grove, son premier publié dans le Canard
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Au moment où la France occupe la Ruhr et où Raymond Poincaré tente de maintenir une façade d’unité nationale, Le Canard enchaîné du 24 janvier 1923 publie une scène d’un autre genre : un Sénat transformé en arène. L’article signé Jules Rivet, intitulé « Au milieu d’un tumulte indescriptible, les sénateurs en viennent aux mains », moque une séance parlementaire houleuse où les représentants de la République enfilent — au sens littéral — les gants de boxe.
Le titre, faussement dramatique, reprend les codes du reportage de guerre. Rivet y décrit le “champ de bataille” de la Chambre haute comme un front intérieur, où l’on se bat non pour la patrie, mais pour des questions de procédure, d’ego ou d’interpellation. Cette confusion des genres n’est pas fortuite : elle renvoie au contraste saisissant entre l’agitation politique à Paris et l’entreprise militaire en Allemagne, présentée comme une revanche nationale. Alors que Poincaré célèbre la discipline de l’armée française dans la Ruhr, Rivet montre que les élus, eux, ne tiennent pas la ligne.
Tout l’article fonctionne sur la métaphore du combat. “Les sénateurs en viennent aux mains”, “les combattants étaient étendus”, “les projectiles les plus bizarres volaient de toutes parts” : Rivet adopte le ton d’un reporter de tranchée pour mieux ridiculiser les postures martiales des politiciens. Les dialogues reconstitués renforcent le burlesque : un sénateur “indigné” s’écrie “Il m’insulte !”, un autre “bondit” pour “en venir au contact”. Les scènes de confusion deviennent une comédie de mœurs : un microcosme où les “Pères conscrits” perdent leur sang-froid, sous les yeux amusés d’un public journalistique qui “se moque du spectacle”.
Le dessin d’Henri Guilac, placé au centre de la page, appuie cette satire visuelle : un pugilat d’hommes en redingotes et haut-de-forme, agitant bras et cannes dans un chaos jubilatoire. L’ordre parlementaire s’effondre au profit d’un désordre joyeux, presque carnavalesque. Rivet, comme souvent, fait de la dérision un instrument de lucidité : en tournant le Sénat en ridicule, il souligne la vacuité des institutions censées incarner la stabilité républicaine.
Ce tumulte survient dans un contexte politique explosif. Depuis l’occupation de la Ruhr (11 janvier), la France s’isole diplomatiquement et le gouvernement doit affronter à la fois les critiques des pacifistes, la méfiance des socialistes et l’impatience des milieux économiques. L’image d’un Sénat désuni et querelleur accentue l’impression d’un pays dirigé par des vieillards querelleurs, plus soucieux de protocole que de vision.
Rivet, fidèle à son art de l’ironie, fait semblant de féliciter ces “combattants” : “Malgré leur bonne volonté, ils ne sont pas à la hauteur.” La formule, qui pourrait servir d’épitaphe à toute une génération de politiciens de l’après-guerre, résume le ton du Canard : celui d’un journal qui refuse de se contenter du patriotisme de façade et préfère pointer la petitesse derrière les grandes paroles.
Enfin, l’article s’achève dans une veine à la fois satirique et mélancolique : après la “bataille”, les sénateurs “quittèrent la salle, convenablement mouchés par les huissiers”. Comme souvent chez Rivet, la chute est sèche, presque théâtrale : les héros de l’instant rentrent dans l’ombre, laissant le lecteur partager un éclat de rire… et un soupçon de désenchantement.
Dans cette scène d’anarchie parlementaire, Le Canard enchaîné offre une radiographie mordante d’une Troisième République à bout de souffle, qui se grise encore de débats pendant que le pays s’enlise dans une politique de force. À défaut de gouverner, les sénateurs se battent — et Rivet, lui, s’amuse à les enterrer dans le ridicule.

      



