N° 401 du Canard Enchaîné – 5 Mars 1924
N° 401 du Canard Enchaîné – 5 Mars 1924
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Serrez les crans ! Souvenirs du bon temps : tous à l’Élysée le 18 mars ! par La Fouchardière – Encore un scandale : on expédie notre bétail en Allemagne – l’amitié franco-britannique : Poincaré et McDonald échangent des cartes postales – petits papiers : la promotion Léon Bérard – Pour la préparation des candidats à la députation : un établissement d’entraînement intensif – Allez Messieurs… de la destruction des chirurgiens par les chirurgiens – si les boches payaient… roman d’anticipation patriotique, par Pierre Bénard – le corbillard – un programme intéressant : la semaine de Mr Roland Marcel – La Méditerranée a feu et à sang : un anglais et un égyptien se battent en duel – chronique alimentaire : ne mangeons plus de sucre – la crise du quartier latin : Des chambres pour nos étudiants, En voici !
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La Fouchardière ressuscite la Commune : quand l’ironie du “bon temps” devient satire politique
Une chronique entre gouaille et mémoire, à la veille d’un tournant politique majeur
Dans sa chronique « Souvenirs du bon temps », publiée en une du Canard enchaîné du 5 mars 1924, Georges de La Fouchardière reprend la conversation imaginaire du “Bouif” et de son compère Bicard, ses deux anti-héros fétiches, pour livrer une satire à double détente : une moquerie du conformisme patriotique et un rappel à la mémoire populaire de la Commune de Paris, dont l’anniversaire approche. Sous le ton badin et le langage de comptoir, c’est toute une époque que le chroniqueur observe : celle d’une France de l’après-guerre, figée dans ses certitudes morales, mais où bouillonne encore l’esprit frondeur des années rouges.
Le dialogue s’ouvre dans un café, lieu de parole et de satire. Bicard, affublé d’un œil tuméfié, raconte ses malheurs : une querelle conjugale, un différend d’ordre “intime et artistique”, puis une altercation avec un “malfaiteur vêtu avec élégance”. L’épisode grotesque sert de prétexte à une série de digressions sur la justice, la presse et la morale parlementaire — autant de thèmes familiers au Canard de La Fouchardière, qui adore pointer l’hypocrisie du pouvoir et le double standard entre la rue et la Chambre. Quand Bicard s’étonne qu’on interdise le pugilat dans la rue mais pas à l’Assemblée, le lecteur comprend : les députés se battent impunément, pendant que la police arrête les ouvriers qui protestent.
Puis le ton bascule. À travers une pirouette, la conversation s’oriente vers un article d’un certain M. Binet-Valmer, écrivain conservateur, qui regrette “les hommes nouveaux que nous sommes, vieillis avant la paix retrouvée”. Ce “bon temps”, celui “de la guerre”, La Fouchardière le retourne en dérision. L’auteur se moque de cette nostalgie militariste qui, à l’orée de 1924, continue d’empoisonner le discours public. Pour lui, la France des anciens combattants, des médailles et des cérémonies commémoratives n’a rien de glorieux : elle est au contraire le signe d’un pays incapable de tourner la page du conflit. “Le bon temps, Bicard, c’est quelque chose de relatif ou de subjectif”, fait-il dire à son personnage, avant de glisser, mine de rien, vers un autre anniversaire : celui de la Commune de Paris, le 18 mars.
Cette référence n’a rien d’innocent. En 1924, alors que les radicaux et la gauche du Cartel s’apprêtent à prendre leur revanche sur le Bloc national, rappeler la Commune — symbole des luttes ouvrières et de la République sociale — relève de l’audace politique. La Fouchardière invite ironiquement ses lecteurs à se rendre “tous à l’Élysée le 18 mars”, fanfare en tête, “pour offrir au président un verre de vin”. Sous le masque de la blague, l’appel est clair : il s’agit de "réhabiliter la mémoire populaire" face à la solennité de l’État bourgeois. Ce renversement du rituel républicain, par le rire, fait écho à toute la tradition libertaire du Canard enchaîné, où l’ironie vaut manifeste.
La chronique s’inscrit aussi dans une actualité plus large : celle d’une France divisée entre le culte du sacrifice militaire et la montée des revendications pacifistes et sociales. L’année 1924 sera celle du retour du Cartel des gauches et de l’éviction de Poincaré — mais, en mars, rien n’est encore joué. La Fouchardière, fidèle à son humanisme ironique, prend les devants : il moque les patriotes compassés et rend hommage, en filigrane, à ces “citoyens courageux” qu’il imagine remonter vers l’Élysée, drapeaux rouges et chansons à la bouche.
Sous ses dehors goguenards, "Souvenirs du bon temps" condense tout l’art de La Fouchardière : un humour tendre et mordant, une lucidité politique sous le vernis de la farce, et cette conviction que le rire, loin d’être une fuite, est une forme de résistance. En rendant la parole à Bicard et au Bouif, il redonne aussi voix à ceux qu’on n’entend pas à la Chambre — ceux du peuple, pour qui le “bon temps” n’est pas la guerre, mais l’espoir toujours tenace d’une justice à venir.





