N° 419 du Canard Enchaîné – 9 Juillet 1924
N° 419 du Canard Enchaîné – 9 Juillet 1924
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Extrait de la lettre du roi d’Angleterre à M Doumergue : « notre gratitude augmente d’année en année », elle suit le cours de la livre…
Le 14 juillet sera républicain, par Pierre Bénard – Pour l’honneur et la loyauté, Le serment olympique prend de l’extension – Le prince de Galles est dans nos murs – Un succès pour bibendum – Une émouvante cérémonie : On inaugure les nouveaux locaux de « l’Intran », par Jules Rivet – Les nouveaux jours : M Mussolini s’élève contre le fascisme – Justice intégrale, par Whip – Les souris de M. Louis Forest, par G. de la Fouchardière – La convention démocrate aux États-Unis : Journal de M. Harry Cooblan, délégué du Colorado – Le français tel qu’on le téléphone, par Jules Rivet – Logique, dessin de Pol Lefebvre
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« Le 14 Juillet sera républicain » : Pierre Bénard tourne en dérision la fête nationale et la victoire du Cartel
Une satire jubilatoire de la République triomphante, entre ironie politique et humour révolutionnaire
Le 9 juillet 1924, dans les colonnes du Canard enchaîné, Pierre Bénard salue à sa manière l’avènement du Cartel des gauches, qui vient tout juste de prendre le pouvoir avec Édouard Herriot à la tête du gouvernement. Son article, intitulé « Le 14 Juillet sera républicain », feint de relayer avec enthousiasme le programme des prochaines festivités nationales. Mais, derrière les apparences d’un reportage civique, se cache une des plus belles parodies de l’époque : une farce antimilitariste et antinationaliste où la République victorieuse s’encanaille enfin dans la joie populaire… au point d’en perdre toute solennité.
Le contexte est crucial : après la victoire électorale du 11 mai 1924, le Cartel — coalition des radicaux et des socialistes — a renversé la majorité du Bloc national, qui incarnait depuis 1919 la droite patriotique, cléricale et revancharde. Le Canard enchaîné, qui a soutenu de toutes ses plumes le camp républicain, salue cette alternance avec l’ironie jubilatoire du vainqueur. Le ton de Bénard n’est pas celui de la presse partisane, mais celui d’un humoriste qui célèbre la victoire en la poussant jusqu’à l’absurde : s’il faut “faire républicain”, autant l’être jusqu’à la caricature.
Tout commence par une promesse : “Après tant de fêtes qui ne furent qu’une parodie des solennités démocratiques, nous allons enfin avoir des fêtes vraiment dignes de la République.” Le lecteur comprend vite que la phrase est à double fond. La “vraie” fête républicaine imaginée par Bénard est un carnaval révolutionnaire : les canons ne tireront plus à blanc (“le blanc est réactionnaire”), mais “chargés à rouge”, symbole d’un patriotisme repeint aux couleurs du socialisme. La foule, “émue et prolétaire”, se rassemblera place de la République pour acclamer “la Nation sans culotte”.
Le programme devient progressivement une satire du pouvoir nouveau et de sa foi naïve dans le “peuple souverain”. Après les salves et les chants révolutionnaires, les citoyens sont invités à envahir la prison de la Santé pour “enfoncer la porte” et libérer les détenus politiques, tandis que dans tout le pays “les condamnés pour faits de grève seront également remis en liberté”. Ce “14 juillet du peuple” tourne à la parodie de la justice sociale. On n’est plus dans la République de Marianne mais dans celle du cancan et du désordre organisé — un exutoire que Bénard imagine avec une précision délicieusement sarcastique.
La suite du texte pousse la dérision à son comble : lors du grand défilé “républicain”, on promènera au bout de piques les têtes en carton des anciens ministres du Bloc national — Poincaré, Millerand, Klotz ou Lasteyrie —, “retranchées spécialement au Musée de l’Armée”. Les vieilles gloires de la droite revancharde deviennent les accessoires grotesques d’un 14 juillet populaire. Bénard clôt la scène en renvoyant la “dissolution” du cortège non aux Invalides, mais… au Père-Lachaise, temple du souvenir révolutionnaire et cimetière des Communards.
À travers cette chronique burlesque, Pierre Bénard donne toute la mesure de son talent de satiriste : sous couvert de célébration, il interroge la capacité de la République à se renouveler. Derrière la farce, une vérité : la gauche au pouvoir n’est pas à l’abri de devenir aussi cérémonieuse et creuse que la droite qu’elle remplace. La fête, censée incarner le renouveau démocratique, tourne en procession parodique où la justice et la vengeance s’entremêlent, où la politique devient théâtre.
En 1924, Le Canard enchaîné atteint ici un sommet de verve républicaine : il applaudit le changement, mais en rit aussitôt, comme pour rappeler que la liberté du rire vaut mieux que n’importe quelle victoire électorale. Bénard, en bon “bouif” de la satire, célèbre le 14 juillet à sa manière : par la plume, par le rire, et par une irrévérence joyeusement républicaine.
Une émouvante cérémonie : on inaugure les nouveaux locaux de « l'Intran »
Ce titre, digne de L’Intran ou du Matin, annonce une scène pleine de larmes et de grandeur… mais le récit, proposé par Jules Rivet, bascule aussitôt dans l’absurde. Le décalage est total : au lieu d’exalter, la cérémonie devient prétexte à rire des conventions sentimentales. Le journal se moque de cette propension à traiter chaque manifestation publique comme une « grande scène » de théâtre national. L’émotion programmée, répétée jusqu’à l’usure, se révèle comique. Le Canard en souligne l’artificialité et fait comprendre à ses lecteurs que ces cérémonies, sous leurs dehors pompeux, sont de simples mises en scène.