N° 435 du Canard Enchaîné – 29 Octobre 1924
N° 435 du Canard Enchaîné – 29 Octobre 1924
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Et si le plan Dawes restait justement en plan ?
Un coup de théâtre à la S.D.N. : la flotte anglaise devra elle bombarder l’Angleterre ? Pains… noirs à l’horizon : de quoi le pain sera-t-il fait ? par René Buzelin – Maréchal Joffre militarise académie : un conseil de révision examine les nouveaux candidats – réception à l’Élysée : Des Américains sont encore chez nous – au salon des appareils ménagers : toujours des trucs et jamais les mêmes ! La réhabilitation du maréchal, par La Fouchardière – le trafic des stupéfiants : chez monsieur Gaillard de la Comédie-Française – le voyage de monsieur Herriot – on a vu le zouave ! Les martyrs du génie français – Contes du canard : le faisan anonyme – l’impôt obligatoire pour tous les chiens – 5 min chez… Vincent Brion – en suivant les quais : défendons Malaquais !
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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Sous le titre inquiétant « De quoi le pain sera-t-il fait ? », René Buzelin livre, dans l’édition du Canard enchaîné du 29 octobre 1924, une chronique à la fois drôle et amère sur la dégradation du pain français. Le sujet, à première vue domestique, touche en réalité au cœur de la crise économique et alimentaire du milieu des années 1920. Derrière le rire, c’est la peur du déclassement et la perte de confiance dans les institutions — y compris celles chargées de nourrir le peuple — que le journaliste pointe du doigt.
Le pain, denrée symbolique entre toutes, traverse à cette époque une profonde mutation. L’inflation d’après-guerre, la spéculation sur les céréales et la mécanisation de la meunerie bouleversent les équilibres. En 1924, le gouvernement d’Édouard Herriot vient de créer, sous l’autorité du ministre de l’Agriculture Henri Queuille, un Office des céréales panifiables : organisme technocratique censé garantir l’approvisionnement et la qualité du pain. Une idée de bon sens, à première vue, mais qui inspire aussitôt la méfiance du Canard.
Buzelin s’y engouffre. Il feint de s’interroger sérieusement sur le sens du mot panifiable — « S’agit-il de céréales susceptibles de nous laisser brusquement en panne ? » — avant de dévoiler le cœur du scandale : sous prétexte de régulation, l’État entérine l’entente des meuniers, c’est-à-dire de ceux qui tirent profit de la farine. L’« industrie meunière », écrit-il, se fait fort « bon gré mal gré » de transformer n’importe quelle plante en pain. L’expression « bon gré mal gré » résume à elle seule l’ironie de l’époque : on panifiera tout ce qui peut rapporter, quitte à perdre le goût du pain lui-même.
À partir de là, la satire enfle. Deux pains se dessinent : le pain blanc, réservé aux riches, et le pain « fantaisiste », fait de bric et de broc, composé de « sciure, d’avoine, de maïs, de paille, voire de fer ». Buzelin pousse la dérision jusqu’à évoquer la sciure de bois et la craie comme nouveaux ingrédients, avant d’imaginer que ce pain de substitution servira bientôt à bâtir des maisons. « Panem et… sciure sans cesse ! », écrit-il dans une parodie latine aussi grinçante qu’ingénieuse.
L’humour masque à peine l’angoisse sociale. Depuis la guerre, la France craint la faim autant que l’inflation. Le franc, miné par les dépenses militaires et la dette, s’effondre : en octobre 1924, il faut près de 25 francs pour un dollar, contre 10 avant-guerre. Le pain devient ainsi le baromètre de la confiance nationale. On se souvient encore des « pains noirs » de 1917, faits de farines mélangées imposées par le rationnement. Buzelin joue de ce souvenir collectif : derrière le calembour du titre (« Pains… noirs à l’horizon »), c’est la perspective d’un retour à la disette qui se profile.
Mais il ne s’agit pas d’un simple texte sur le pain : c’est une parabole politique. En moquant les « produits fantaisistes » des minotiers et la bureaucratie d’Herriot, Buzelin attaque plus largement la République du Cartel des gauches, accusée de fabriquer du faux, de diluer la substance des choses sous des offices et des décrets. Le pain devient métaphore du régime : un aliment de plus en plus indigeste, mêlant tout et n’importe quoi, « sauf de la farine ».
Dans ce numéro du Canard enchaîné, le rire de Buzelin est celui du scepticisme populaire : ce pain d’État qu’on nous promet, mélange de scories et de promesses, a le goût d’un progrès frelaté. La satire est d’autant plus savoureuse qu’elle touche à la fois l’assiette et la politique : à force de vouloir nourrir la nation de chimères administratives, prévient-il, on finira par construire des maisons avec du pain — et des gouvernements en miettes.
29 octobre 1924, n°435 – Georges de La Fouchardière, « Chronique de l’œil-de-Bouif : La réhabilitation du maréchal »
À l’automne 1926, Georges de la Fouchardière entraîne son Bouif dans une chronique parodique aux accents historiques : « La réhabilitation du maréchal ». Sous sa plume, l’ivrogne philosophe revisite les débats de la République sur les gloires militaires, mais avec l’ivresse pour boussole.
Le Bouif, verre à la main, se lance dans une plaidoirie maladroite pour « réhabiliter » un maréchal dont il déforme le nom et brouille les hauts faits. Les grands principes se transforment en jeux de mots, les batailles en souvenirs de beuveries, les arguments en sentences bancales. Mais derrière le grotesque, la critique est nette : la manie de réhabiliter tel ou tel grand homme sert moins la justice historique que les querelles politiques du moment.
L’humour naît de ce télescopage : la gravité des débats officiels se heurte à la logique titubante du comptoir. Et pourtant, le Bouif met le doigt sur une vérité : quand on ressasse le passé pour régler des comptes, on ne fait qu’enivrer l’opinion sans la nourrir.
Avec cette chronique, Le Canard enchaîné dégonfle la pompe des commémorations et rappelle que l’Histoire, si noble soit-elle, ne mérite pas d’être instrumentalisée. Le Bouif, en historien ivre, en dit parfois plus long que les orateurs de tribune.