N° 517 du Canard Enchaîné – 26 Mai 1926
N° 517 du Canard Enchaîné – 26 Mai 1926
79,00 €
En stock
Les beaux retours – M. Henry Bérenger fait route vers la France
Dans Le Canard enchaîné du 26 mai 1926, Pierre Bénard orchestre une satire d’anthologie autour du retour en France d’Henry Bérenger, ambassadeur à Washington. Sous le titre M. Henry Bérenger fait route vers la France, le journaliste raille le lyrisme officiel et la servilité médiatique : le diplomate, célébré comme un héros pour avoir négocié la dette de guerre, devient ici un personnage d’opérette, escorté de choux-fleurs et de tomates en liesse. En pleine crise financière, Le Canard signe un chef-d’œuvre d’ironie politique sur le culte absurde des “sauveurs de la monnaie”.
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
Le 26 mai 1926, Le Canard enchaîné publie un article de Pierre Bénard intitulé M. Henry Bérenger fait route vers la France. Sous ses airs anodins de dépêche diplomatique, le texte est une charge d’une férocité exquise contre les pompes de la Troisième République et la rhétorique patriotarde qui entoure ses serviteurs.
Bérenger, sénateur radical-socialiste et ambassadeur de France à Washington, revient d’Amérique après avoir négocié les modalités du remboursement des dettes contractées par la France pendant la Grande Guerre. En ces jours de mai 1926, la presse officielle célèbre son succès comme un exploit national : la France aurait enfin retrouvé l’estime des banquiers américains. Bénard, lui, en fait une farce colossale.
Tout, dans son article, repose sur le renversement du ton journalistique. Le texte commence comme une dépêche d’agence : « M. Henry Bérenger vient de s’embarquer à New York à destination de la France. » Mais dès la deuxième phrase, le Canard s’empare de la narration pour en dévoiler la vanité. L’« ambassadeur » y devient un héros de vaudeville, salué par le ministre Mellon qui lui rend sa montre, fêté par des financiers émus et escorté par une « superbe gerbe de fleurs » remise à Mme Bérenger « par les Chevaliers de Colomb ».
Le pastiche atteint son sommet lorsque Bénard invente un échange de télégrammes avec Winston Churchill, qui aurait envoyé : « N’avons pu nous entendre avec Péret. Comptons désormais sur vous. » Réponse immédiate de Bérenger : « Rassurez les amis. Vais prendre affaires en main. Vous la serre. » L’humour réside dans cette parodie du style diplomatique : sous le vernis des “amitiés transatlantiques”, il ne reste qu’un théâtre creux où l’on s’envoie des formules convenues, aussi vides que les coffres publics français.
La suite redouble de dérision : au Havre, écrit Bénard, « tous les choux-fleurs, les tomates, les œufs ont été raflés chez les marchands de la région », et la population prépare un accueil « indescriptible » à celui « qui a si bien négocié le remboursement de nos dettes ». Le grotesque devient ici une arme politique. Car au moment même où paraît cet article, la France est au bord de la faillite : le franc s’effondre, les caisses de l’État sont vides, et les créanciers étrangers dictent leurs conditions.
Bénard, sous couvert de fantaisie, met en lumière cette dépendance humiliante. Le diplomate célébré n’est plus un héros national, mais un symbole de soumission financière. Sa traversée de l’Atlantique devient le retour du débiteur satisfait de sa servitude. L’humour de Bénard, d’apparence légère, traduit une lucidité mordante : la République a remplacé la gloire militaire par la gloire monétaire, les victoires diplomatiques par des réceptions de gala.
Le texte se clôt sur une ironie finale, presque joyeuse : “Étant donné ces préparatifs, on peut dire que lorsque M. Henry Bérenger débarquera, l’enthousiasme sera vraiment indescriptible.” Derrière le rire, le Canard laisse deviner un vertige politique. Deux semaines plus tard, le franc chutera à son plus bas, Herriot tombera, et Poincaré sera rappelé au pouvoir pour sauver la monnaie.
En mai 1926, le Canard voyait juste : la République, prise dans sa propre comédie financière, n’attendait plus que son prochain illusionniste.





