N° 574 du Canard Enchaîné – 29 Juin 1927
N° 574 du Canard Enchaîné – 29 Juin 1927
79,00 €
En stock
L’Académie, enfin, a reçu un écrivain
Le 29 juin 1927, Le Canard enchaîné salue – à sa manière – l’entrée de Paul Valéry à l’Académie française. Sous le titre ironique « L’Académie, enfin, a reçu un écrivain », le journal feint la surprise de voir l’illustre compagnie accueillir un véritable penseur plutôt qu’un gratte-papier ministériel. Entre hommage sincère et clin d’œil satirique, le Canard cite avec un respect amusé les aphorismes de Valéry, extraits de ses Remarques, où se mêlent logique, poésie et paradoxes. Pour une fois, la chronique du mercredi troque la charge pour la réflexion : une pause d’esprit dans la mare des vanités.
En tôle, dessin de Mat – Le martyre, dessin de Lucien Laforge –
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
Le 29 juin 1927, Le Canard enchaîné consacre une pleine colonne à un événement rare : l’élection et la réception de Paul Valéry à l’Académie française. Le titre — « L’Académie, enfin, a reçu un écrivain » — condense à lui seul tout l’esprit du Canard : une pique malicieuse à l’adresse de l’institution, et un hommage détourné à l’un des rares auteurs dont la réputation dépasse la mondanité.
Le contexte est significatif. En cette année 1927, la Troisième République voit s’épuiser ses débats littéraires sous le poids des notabilités académiques. L’Académie française, souvent moquée pour ses “immortels” interchangeables, accueille depuis des années plus de politiciens et de diplomates que d’écrivains au sens fort. Le Canard, fidèle à sa verve anticérémonieuse, ne manque pas de rappeler l’exception : “Pour une fois, l’Académie a consenti à agréer un écrivain, un penseur qui est un penseur.”
L’article se distingue de la satire habituelle du journal : point d’attaque ni de caricature, mais une ironie légère, respectueuse. Paul Valéry est décrit comme un héritier d’Anatole France, “par le côté lumineux de son œuvre”, tout en s’en distinguant par une rigueur intellectuelle presque mathématique. Plutôt qu’un portrait, le Canard choisit la citation. Il offre au lecteur une série d’aphorismes tirés des Remarques, recueil tout juste paru :
“Dans une phrase, la longueur est sans importance. Ce qu’on en mesure, c’est la profondeur.”
“Le passé saisit le présent. Les vivants ont surtout les morts pour ressource.”
“Un mauvais citoyen peut être un parfait philosophe.”
Ces fragments, que le journal publie sans commentaire, deviennent eux-mêmes un geste critique. En citant Valéry, Le Canard fait résonner une intelligence singulière dans ses colonnes — et souligne par contraste la vacuité des discours officiels qu’il raille chaque semaine.
Sous cette apparente révérence, la malice n’est jamais loin. Le choix du titre — “enfin” — exprime une ironie bienveillante : voilà que la vieille maison verte, bastion du conformisme, se décide à accueillir un vrai poète. L’auteur, inconnu mais sans doute membre de la rédaction littéraire du Canard, joue sur ce décalage entre grandeur académique et pensée libre. L’image qui accompagne l’article, un Valéry coiffé de l’habit à glands, semble elle aussi sourire.
Le Canard enchaîné, dans les années 1920, réserve en effet une place singulière à la littérature. À côté des chroniques politiques et des satires sociales, on trouve régulièrement des encadrés consacrés à des auteurs contemporains : Gide, Cocteau, Claudel ou Duhamel. Mais jamais le ton n’est compassé. Le journal, qui se moque volontiers du “beau style”, reconnaît chez Valéry une exigence de pensée qui dépasse le jeu des prix et des honneurs.
En filigrane, ce court article marque une parenthèse dans la tempête : un instant d’admiration pour l’intelligence pure, rare dans un hebdomadaire qui préfère les “bourreurs de crânes” aux “penseurs”. Le Canard rend hommage sans trahir sa ligne : un écrivain mérite d’être salué non pour son épée d’académicien, mais pour la vivacité de sa plume.
En 1927, la République s’offre un poète, et le Canard enchaîné s’offre une respiration. Derrière le rire, un aveu : il arrive que l’ironie reconnaisse ses maîtres.





