N° 733 du Canard Enchaîné – 16 Juillet 1930
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16 juillet 1930 — “Vivent les cataclysmes” : quand Tardieu bénit la grêle
Le Canard enchaîné applaudit, lui aussi, les fléaux… mais à sa manière
André Tardieu se félicite de la hausse du blé et du vin ? Pierre Bénard en conclut, pince-sans-rire, que la grêle et le mildiou sont devenus les meilleurs alliés de la République. Dans cette fable mordante, les calamités font la richesse des campagnes — et le président du Conseil, celle des humoristes.
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Vivent les cataclysmes
Le 16 juillet 1930, Le Canard enchaîné publie à la une un texte au titre d’une ironie limpide : « Vivent les cataclysmes », signé Pierre Bénard. Sous ce cri paradoxal, le chroniqueur livre l’un de ces morceaux d’humour noir dont il avait le secret, transformant l’absurde de la politique économique en farce philosophique. L’article part d’un fait réel : à la Chambre, le président du Conseil André Tardieu venait de se féliciter de la hausse du prix du blé et du vin, qu’il attribuait à la réussite de sa politique agricole. Mais Édouard Daladier, alors chef des radicaux, lui avait rétorqué que cette hausse provenait non d’une bonne gestion, mais… des calamités naturelles : la grêle, la rouille et le mildiou.
Bénard saisit cette réplique pour en faire une parabole grinçante sur l’absurdité des discours politiques. Si la misère devient source de prospérité, si les catastrophes garantissent l’équilibre économique, alors il faut pousser la logique jusqu’au bout : “Vivent la grêle et le mildiou, qui mieux que le laboureur et les pâturages font la richesse des campagnes !” écrit-il, feignant d’y croire. Le style oscille entre l’enthousiasme de foire et le sermon absurde : un ton faussement naïf qui accentue le ridicule des hommes au pouvoir.
Sous la plume de Bénard, l’économie agricole de 1930 devient un théâtre d’ombres. La France traverse une période de déséquilibre : la grande dépression mondiale, déclenchée par le krach de Wall Street en 1929, commence à se faire sentir. Les prix agricoles montent, mais au prix de récoltes ravagées. Les campagnes souffrent, tandis que le gouvernement Tardieu, soucieux de rassurer son électorat rural, s’enorgueillit d’indicateurs trompeurs. Le Canard s’en amuse : il imagine bientôt des “processions chargées d’implorer du ciel la grêle bienfaisante” et propose de canoniser un “saint du mildiou”. La logique du profit devient folie mystique.
Au fil du texte, la satire glisse du rural au politique. Bénard pousse le raisonnement jusqu’à l’extrême : si les fléaux naturels sont bénéfiques, pourquoi ne pas applaudir les tremblements de terre, “belles affaires pour les architectes et les médecins” ? Et même — ultime provocation — la guerre, présentée comme “le meilleur moyen de lutter contre le chômage et de remédier au marasme des affaires”. Le rire devient noir, presque désespéré. Derrière le sarcasme, c’est le cynisme d’une époque qu’il dénonce : celui d’une République qui, face à la crise, se console dans les chiffres plutôt que dans les hommes.
Enfin, la chute, magistrale, vise directement Tardieu :
“Remercions donc, du fond du cœur, M. Tardieu, qui nous a fait découvrir la nécessité des cataclysmes ; et qui, pour notre bien, s’est lui-même installé au pouvoir.”
L’ironie du Canard atteint ici sa perfection : le président du Conseil, artisan d’un “réalisme” technocratique, devient lui-même un fléau national, le cataclysme suprême.
L’article paraît en plein été 1930, alors que la Troisième République s’enfonce dans la crise économique et morale. Bénard, fidèle à son art du renversement, transforme l’infortune en satire cosmique. Il y a là une modernité redoutable : la dénonciation du discours politique qui justifie l’injustice au nom du progrès — ou, comme dirait aujourd’hui Bénard, “du bon temps qu’il fait à la Bourse quand il pleut sur les champs”.





