N° 746 du Canard Enchaîné – 15 Octobre 1930
N° 746 du Canard Enchaîné – 15 Octobre 1930
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15 octobre 1930 — “Sacré Gustave” : quand Le Canard taille un costard à Gustave Hervé
De la faucille au sabre : itinéraire d’un renégat
Ancien pacifiste devenu patriote hystérique, Gustave Hervé célèbre les Casques d’acier allemands comme des “frères d’âme” des nationalistes français. Pierre Bénard s’en amuse et s’en indigne : entre ricanement et démontage idéologique, Le Canard expose la dérive fascisante d’un ex-révolutionnaire qui, du drapeau rouge au drapeau tricolore, a surtout gardé le goût du délire.
Victoire, dessin de Pruvost.
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Sacré Gustave
Le 15 octobre 1930, Le Canard enchaîné publie à sa une un article signé Pierre Bénard, au titre moqueur : « Sacré Gustave ». Le “Gustave” en question n’est autre que Gustave Hervé, ancien militant socialiste révolutionnaire devenu, après la guerre, un ardent nationaliste — et l’un des plus spectaculaires retournements idéologiques de la IIIᵉ République. L’article, enjoué dans sa forme, est féroce dans son fond : Bénard y démonte la métamorphose d’un ancien “rouge” passé du drapeau rouge au drapeau tricolore, et aujourd’hui compagnon de route de l’extrême droite française.
En octobre 1930, Hervé dirige le journal La Victoire, organe ultra-patriotique proche des ligues nationalistes. Dans un éditorial du 7 octobre, il vient de saluer avec émotion les Casques d’acier allemands, anciens combattants de la Reichswehr défilant à Coblence, qu’il présente comme des “patriotes exaltés”, frères d’âme des nationalistes français. “Ils sont l’élite de l’Allemagne, comme nous prétendons être l’élite de la France.” Cette phrase, qui se veut noble, provoque l’hilarité et l’indignation de Bénard : comment peut-on, quinze ans après la guerre, trouver des “affinités profondes” avec les nostalgiques de l’Empire allemand ?
La réponse du Canard est cinglante. Bénard adopte le ton d’un dialogue familier : “Gustave, t’es beau. Gustave, je t’adore. Gustave, tu n’en rates pas une.” Derrière la gouaille, il y a un véritable procès politique. Hervé est renvoyé à ses contradictions : jadis pacifiste antimilitariste, emprisonné pour avoir crié “À bas la guerre !”, il se retrouve en 1930 à glorifier les anciens soldats de l’ennemi. Bénard résume la métamorphose en une phrase assassine : “Jadis, il plantait le drapeau dans ce que vous savez. Maintenant, il le tient à la main.” Le jeu de mots, trivial et irrésistible, clôt le portrait d’un homme devenu caricature de lui-même : un “repenti” qui, du drapeau rouge, a glissé au drapeau tricolore… sans jamais renoncer à la démesure.
Mais l’article ne s’arrête pas à la moquerie : il épingle aussi l’ensemble du camp nationaliste français. En feignant d’adresser une leçon d’“éthique patriotique” à Hervé, Bénard souligne le double discours de la droite extrême : quand un nationaliste allemand réclame revanche et purification, c’est un “vandale ivre de carnage” ; quand un nationaliste français frappe un intellectuel dreyfusard, c’est un “défenseur de l’honneur et de la patrie”. Le Canard renverse ainsi la logique de la morale patriotarde : le fascisme, qu’il soit allemand ou français, reste le même, simplement travesti.
À travers cette charge, Bénard cible plus largement la dérive fascisante d’une partie de la droite française à la fin des années 1920 : celle de Léon Daudet, de L’Action française et de journaux comme La Victoire, qui flattent les régimes autoritaires sous couvert d’ordre et de patriotisme. Dans un contexte où la crise économique mondiale commence à secouer la France, où la peur du communisme alimente les discours musclés, Le Canard défend la satire comme arme civique.
Avec “Sacré Gustave”, Bénard signe un texte bref, vif, d’une intelligence grinçante. C’est du grand Canard : la verve populaire au service d’une analyse politique lucide, le rire comme scalpel du mensonge.





