N° 751 du Canard Enchaîné – 19 Novembre 1930
N° 751 du Canard Enchaîné – 19 Novembre 1930
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19 novembre 1930 — “On l’avait bien dit… que Raoul paierait”
Scandale Oustric : quand le Canard enterre le Garde des Sceaux
Raoul Péret, compromis dans le krach Oustric, quitte le ministère de la Justice, et Le Canard enchaîné s’en donne à cœur joie : fable de Guilac, chronique grinçante et faux panégyrique d’Henri Chéron. Derrière la farce, une République en crise — et un Tardieu qui rit jaune, en attendant le prochain scandale.
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On l’avait bien dit… que Raoul paierait
Le 19 novembre 1930, Le Canard enchaîné titre sa une d’un ironique « On l’avait bien dit… que Raoul paierait », à propos de la chute de Raoul Péret, ministre de la Justice du gouvernement Tardieu, emporté par les remous du scandale Oustric. Cette édition, ciselée de bout en bout par la verve satirique du journal, fait feu de tout bois : dessin, fable et article d’humeur forment un triptyque où la presse, la morale et la politique se rejoignent dans une farce nationale.
Le dessin de Guilac, en haut de la une, condense l’affaire en une scène de comédie : sous la pancarte « Palais de l’Élysée », une servante penaude — caricature de Péret en “laitière” maladroite — contemple les débris d’un pot brisé, sur lequel on lit “Oustric”. Titre : « Péret et le pot aux roses », sous-titré « À la manière de La Fontaine ». Le Canard reprend ici la fable du pot cassé et du secret éventé pour illustrer une évidence : le Garde des Sceaux, compromis par ses liens avec le banquier Oustric, vient de découvrir trop tard ce que tout Paris savait déjà.
Cette métaphore du pot brisé ne pouvait mieux tomber. Depuis plusieurs semaines, la presse s’emballe autour du krach Oustric, scandale financier retentissant : le banquier Albert Oustric, aventurier de la finance et fondateur de la Banque Oustric, s’est effondré en entraînant dans sa chute un réseau d’hommes politiques, d’industriels et de spéculateurs liés à son groupe. Parmi eux, Raoul Péret — avocat-conseil d’Oustric avant de devenir ministre — est accusé d’avoir entretenu des relations compromettantes tout en siégeant Place Vendôme. L’affaire éclabousse tout le gouvernement et menace jusqu’à André Tardieu lui-même.
Le Canard s’en régale. Dans la page 2, la rubrique « La mare aux canards » revient sur le débat houleux de la Chambre où Tardieu, d’un ton triomphal, déclara qu’il gardait “bonne humeur” malgré l’affaire — déclaration jugée déplacée, tant les députés voyaient dans l’effondrement d’Oustric le symbole d’une République corrompue. Le journal raille cette désinvolture : “Ce n’est pas son pognon qui a été fauché, mais le pognon des autres.” Le ton est donné : le chef du gouvernement s’en tire avec des mots, pendant que les petits porteurs s’écroulent avec leurs économies.
La chronique redouble d’ironie dans « Encore des bruits », où le Canard suggère, faussement ingénu, que Péret aurait continué à “émarger mensuellement” à la banque même après son entrée au ministère. L’hypocrisie est totale : Tardieu déclare son ministre “innocent” — et l’invite dans la foulée à “résilier ses fonctions”. Péret devient ainsi le bouc émissaire d’un système que tout le monde savait gangrené.
En page 3, l’article « M. Henri Chéron entre brillamment à la Place Vendôme » complète le tableau. En feignant l’éloge, Le Canard achève son portrait de la République opportuniste. Le nouveau Garde des Sceaux, présenté comme “un homme d’avenir”, est décrit avec une ironie cinglante : radical devenu réactionnaire, mangeur d’andouille et adepte des pilules Pink, il incarne la caricature même de la continuité politique. En remplaçant Péret par Chéron, Tardieu “met des honnêtes gens” à la Place Vendôme, et le journal s’en amuse : “On peut être tout à fait tranquille : il y a encore de beaux jours pour la rigolade.”
Tout l’art du Canard enchaîné réside ici dans ce tissage satirique : du dessin de Guilac à la chronique ironique, l’affaire Péret devient fable morale et théâtre politique. Sous la légèreté du trait, c’est toute la crise de confiance de la Troisième République qui s’exprime : celle d’un pouvoir usé, miné par la collusion entre les ministères et les milieux d’affaires, où chaque scandale chasse le précédent sans jamais rien changer. “Aux suivants de ces messieurs”, conclut le billet : la morale du conte est claire, et amère — la République, elle, continue.





