N° 793 du Canard Enchaîné – 9 Septembre 1931
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9 septembre 1931 — La République fête son oubli
« La non-célébration du 4 septembre s’est déroulée avec éclat »
Pas de cortège, pas de discours, pas d’émotion : la France a fêté, comme chaque année, l’anniversaire du 4 septembre dans l’indifférence générale. Le Canard salue cette « non-célébration » avec ironie et tendresse : entre le menu à la camomille de Paul Doumer et la place publique vide dessinée par Guilac, tout dit la République de 1931 — épuisée, routinière, mais encore assez vivante pour rire d’elle-même.
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La non-célébration du 4 septembre s’est déroulée avec éclat
Le 9 septembre 1931, Le Canard enchaîné consacre sa une à un événement d’une solennité toute particulière : « La non-célébration du 4 septembre s’est déroulée avec éclat ». Le titre, signé sans doute collectivement par la rédaction — peut-être Pierre Bénard ou André Dahl —, résume à lui seul le ton de l’article : celui d’un humour paradoxal et impeccablement républicain, qui transforme l’indifférence civique en fête nationale.
Le 4 septembre commémore, depuis 1870, la proclamation de la IIIᵉ République à l’Hôtel de Ville de Paris, après la défaite de Sedan et la chute de Napoléon III. Mais en 1931, cette date symbolique ne fait plus vibrer personne. La République, entrée dans sa soixante-et-unième année, ne soulève plus ni ferveur ni débat : elle ronronne, installée, usée par les routines parlementaires et l’indifférence d’un pays las des crises politiques et des discours patriotiques. Le Canard s’en amuse avec un brio satirique : il ne décrit pas la commémoration du 4 septembre — mais son absence, célébrée « avec éclat ».
Dès la première ligne, le ton est donné : « Le programme des fêtes officielles […] s’est déroulé cette année avec un éclat sensiblement égal à celui de l’année dernière. » Sous cette ironie tranquille, on entend toute la lassitude d’une République fatiguée de s’auto-célébrer. Le journal feint d’admirer le zèle des autorités : les couleurs nationales ont été « arborées sur tous les bateaux-lavoirs » et les troupes « passées en revue dans toutes les casernes, par les adjudants de semaine ». La précision administrative, appliquée à des non-événements, produit un effet comique irrésistible.
L’article s’emploie ensuite à dresser le tableau d’une célébration parfaitement vide. À Paris, écrit le Canard, « les théâtres et cinémas qui ne font pas relâche » ont donné des représentations, et « les becs de gaz ont été allumés dans toutes les grandes artères ». Autrement dit : rien n’a eu lieu, et ce rien est organisé, ritualisé, presque sacré. La République se célèbre en ne faisant rien d’autre que continuer à exister, comme un vieux couple fêtant son anniversaire de mariage sans même se parler.
Le dessin de Guilac, placé au centre de l’article, complète ce tableau d’inaction nationale : une place publique déserte, deux chiens se flairant, un policier désœuvré, un automobiliste indifférent… Le sous-titre précise, perfide : « La place publique où n’a pas eu lieu la manifestation nationale. » Ce gag visuel résume toute la philosophie du Canard : dire le vrai par l’absurde, dégonfler les baudruches du discours officiel, et moquer l’esprit d’apparat d’une République sans élan.
Mais au-delà du comique, il y a une lecture politique : en 1931, la France s’enfonce dans la crise économique mondiale, les gouvernements tombent à un rythme effréné (six en trois ans), et la IIIᵉ République, minée par le parlementarisme, ne suscite plus ni respect ni espérance. Le Canard pointe ce désenchantement collectif sans jamais tomber dans l’antiparlementarisme : au contraire, il défend une République lucide, qui rit d’elle-même au lieu de se figer dans le culte.
La chute est d’un humour typiquement « canardesque » : Paul Doumer, président de la République, a « présidé à Rambouillet un banquet à l’issue duquel le menu suivant a été communiqué : le saucisson ordinaire, le merlan frit Présidente, les nouilles sans sel, la camomille maison ». Le patriotisme transformé en gastronomie morne : tout un symbole.
À travers cette parodie de cérémonie nationale, Le Canard enchaîné brosse en creux un portrait acide de la France de 1931 : un pays qui survit plus qu’il ne vit, attaché à ses symboles mais détaché de leur sens, capable encore de rire de lui-même, mais déjà incapable de s’émouvoir.





