N° 799 du Canard Enchaîné – 21 Octobre 1931
N° 799 du Canard Enchaîné – 21 Octobre 1931
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Conseiller particulier (d’Oustric) … Conseiller général (de la Vienne)
Octobre 1931 : dans la Vienne, l’ancien ministre Raoul Péret, éclaboussé par le scandale Oustric, est réélu triomphalement au conseil général. Dans un faux reportage hilarant, Drégerin décrit une foule en liesse acclamant « les honnêtes gens » sous les banderoles de Guilac : « Honneur et loyauté ». Le Canard enchaîné s’en délecte : la République célèbre ses fautifs comme des héros, la presse régionale chante leurs vertus, et les scandales deviennent des fêtes. Derrière la plaisanterie, une lucide satire d’une France des années 30 qui, face à la crise, confond le salut public et l’amnésie collective.
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21 octobre 1931 : le triomphe de Raoul Péret, ou l’art de voter l’innocence
Quand la Vienne acclame son ministre démissionnaire
Sous un titre apparemment sérieux — « L’élection triomphale de M. Raoul Péret est accueillie dans l’enthousiasme » —, Drégerin signe dans le Canard enchaîné du 21 octobre 1931 une parodie de reportage électoral qui ridiculise, en réalité, l’un des plus retentissants scandales politiques du moment.
Le ton, faussement solennel, s’accorde avec le dessin central de Guilac, qui montre un Raoul Péret jovial, porté en triomphe par une foule extatique, banderoles au vent : « Probité, omniscience, lucidité », « Honneur et loyauté » — autant de slogans dont l’ironie saute aux yeux.
Pour replacer la scène : Raoul Péret, ancien président de la Chambre et ministre de la Justice, vient d’être balayé par l’affaire de la Banque industrielle de Chine, un scandale financier aux ramifications franco-coloniales. En octobre 1931, il vient de démissionner après la création d’une commission d’enquête parlementaire, mais ses électeurs de Neuville (Vienne) viennent de lui renouveler triomphalement leur confiance au conseil général.
C’est cette contradiction qu’exploite le Canard : l’homme suspecté de compromissions bancaires est fêté comme un héros national, sous les vivats d’une population décrite comme transportée de ferveur patriotique. Drégerin s’amuse du grotesque de la situation : « Jamais, jamais, résultat d’un premier tour de scrutin ne fut plus clair, ni plus net », écrit-il avec un sérieux feint, avant de préciser que Péret obtient 1 228 voix contre zéro pour ses adversaires.
La satire se nourrit du langage de la presse d’arrondissement, celui des correspondances électorales gonflées d’hyperboles. « Les cris : Vive Tardieu ! Vive Oustric ! Vive les honnêtes gens ! retentissaient sans relâche », écrit Drégerin, jouant sur l’ironie : l’un (Tardieu) est le chef du gouvernement, l’autre (Oustric) le banquier dont le procès pour faillite frauduleuse a entraîné Péret dans sa chute. Le journaliste feint de croire à la sincérité du peuple, tout en soulignant son aveuglement : « Les cœurs gonflés d’allégresse et d’humilité avaient eu le bon goût de se taire chez eux. »
Les félicitations pleuvent : Tardieu, Maginot, Franklin-Bouillon, Besnard, jusqu’à la Snia Viscosa (entreprise italienne compromise dans d’autres affaires financières), tout le monde télégraphie. L’unique “ombre” provient d’un socialiste de l’Aisne, Georges Monnet, qui a eu l’audace de rappeler que Péret avait été l’avocat du fameux Oustric. Drégerin tourne cette critique en dérision, en feignant l’indignation : « Vous insinuez que je veux vous faire un procès ? Suivez-moi ! » La farce électorale se mue en comédie judiciaire.
À travers cette chronique burlesque, le Canard illustre à merveille la dérive morale de la Troisième République finissante. Les scandales financiers s’enchaînent — Oustric, Stavisky, Hanau —, mais les protagonistes parviennent à se faire réélire par des électeurs qui préfèrent applaudir leurs élus que comprendre leurs fautes. La Vienne de Drégerin devient une miniature de la France de 1931 : engourdie, ironique, presque fataliste devant la corruption du pouvoir.
Le dessin de Guilac, au centre, achève de souligner cette inversion des valeurs : Péret, que la justice menace, porté comme un libérateur ; le peuple, caricaturé en paysans hilares ; et la mairie, en arrière-plan, brandissant sa devise : « Honneur et loyauté ». Tout le Canard est là : derrière le rire, une profonde amertume sur l’état du pays.





