N° 2970 du Canard Enchaîné – 28 Septembre 1977
N° 2970 du Canard Enchaîné – 28 Septembre 1977
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Patience… Ils feront mieux la prochaine fois
Septembre 1977: la gauche se rêve en bloc, mais se découpe en tranches. En une, André Ribaud prescrit à l’Union de la gauche un programme commun… et, vu l’état du patient, un psy et un opticien. Pendant que socialistes et communistes s’accusent de trahison, “La Mare aux Canards” résume la défense socialiste: le PC aurait rompu par calcul, par peur de gouverner, et pour rester “le premier dans l’opposition”. Résultat: Giscard-Barre n’ont plus qu’à regarder la charcuterie. Patience… vraiment.
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Patience… la gauche va se recoller toute seule (ou presque)
En septembre 1977, l’« Union de la gauche » vient de se prendre les pieds dans son propre tapis: rupture, petites phrases, procès d’intention, et chacun jure que l’autre a commencé. Au pouvoir, Giscard et Barre regardent ça comme on regarde deux voisins se disputer une haie mitoyenne: avec l’air grave, mais le sourire dans la poche. Le Canard, lui, n’a pas de poche. Il rigole et il compte les bleus.
André Ribaud, en une, joue les faux rassurants: « Patience… Ils feront mieux la prochaine fois ». Traduction: ils ont déjà fait la preuve qu’ils savent écrire un programme commun (1972), mais ils ont surtout démontré qu’ils ne savent pas le relire en 1977. Les illusions d’optique sont parfois de gauche: on croit voir un bloc, c’est un puzzle, et il manque la moitié des pièces… volontairement.
Le “corps électoral”, cette demoiselle qu’on découpe en tranches
Le dessin d’Escaro résume l’affaire sans économiser les ciseaux: la gauche n’est pas “coupée en deux”, elle est promise à être débitée en “trois, quatre ou cinq”. L’image est cruelle et juste: au lieu d’un rassemblement, une charcuterie politique, où chaque boutique prétend vendre “la vraie côtelette populaire”.
Ribaud insiste: malgré la pagaille, la gauche garde “les meilleures chances” de gagner les législatives… à une condition toute simple et donc introuvable: se mettre d’accord tout de suite sur un programme commun “bon”, c’est-à-dire lisible, finançable, et surtout signable sans se pincer le nez. À défaut, il propose une trousse de secours: un psychologue (pour extirper méfiance et soupçon), voire un psychanalyste, et un opticien (pour corriger la myopie idéologique qui fait confondre “allié” et “ennemi intime”).
Le Canard pointe ce théâtre d’ombres: quand on sonde les états-majors, on n’entend pas des mesures, mais des fantasmes. Les socialistes se voient déjà embarqués “sur la Volga”, version vieille inquiétude; les communistes, eux, jurent que les socialistes sont des “sociaux-traîtres” prêts à pactiser avec Giscard “de circonstance” ou avec l’Américain de service. Au milieu, le citoyen de base, lui, n’est pas forcément encarté: il aimerait surtout savoir si son salaire suivra les prix, si son gamin aura du boulot, et si les “combinaisons” se font pour lui ou sur lui.
“On l’avait prévu… après coup”: l’art du parapluie rétroactif
Le billet de “La Mare aux Canards” est un petit bijou de mauvaise foi mise en vitrine. Titre parfait: “Les socialistes: on l’avait prévu… après coup”. Et voici l’explication “par les socialistes” de la “volonté de rompre” des communistes, en trois points, comme un cours du soir de cuisine politicienne:
- Le PC n’aurait pas supporté l’écart qui se creuse avec le PS “attrape-tout”. Moralité façon Defferre: “mieux vaut être le premier dans l’opposition que le second dans la majorité”. Autrement dit, mieux vaut la belle place sur l’affiche que le strapontin au conseil des ministres.
- Le PC ne voudrait pas aller au pouvoir “dans les conditions économiques actuelles”: ses promesses seraient irréalistes, donc il casse l’union pour se donner “le beau rôle”. Et, exaspéré par la surenchère à gauche (CFDT), il retourne chasser le vote ouvrier, notamment sur les nationalisations.
- En cas de défaite, le PC parierait que le PS se disloquera, tandis que lui conservera sa puissance. Donc il n’aurait “pas peur” de porter un mauvais coup à l’union.
Conclusion du billet: “Ah! les vaches!” Deux mots qui font office de poignée de main: on se serre, mais c’est pour mieux se tordre le poignet.
La “prochaine fois” comme programme politique
Ribaud finit par dire tout haut ce que tout le monde sait tout bas: si la gauche voulait vraiment gagner, elle devrait parler au pays, pas à ses miroirs. Mais elle préfère se regarder se disputer, et téléviser ses états d’âme. Le comique, c’est que ce grand psychodrame peut très bien aboutir malgré tout à une victoire… par lassitude de l’autre camp, ou par erreur de calcul. Et là, le Canard prévient en ricanant: même une victoire ne guérira pas la maladie, elle la mettra juste en responsabilité.
“Patience”, donc. Oui: patience pour le lecteur. Patience pour le militant. Patience pour le scrutin. Et patience pour les ambitieux, qui s’entraînent déjà à faire mieux “la prochaine fois”… c’est-à-dire à refaire exactement la même scène, mais avec des costumes neufs.
Quand Babarre prend Concorde
En septembre 1977, Vautier attrape Concorde non par la tuyère, mais par un document interne d’Air France: “tout était prévu”, jusqu’aux cinq Canard enchaîné pour Mme Barre. De là, il déroule la farce du prestige en service commandé: menus au foie gras, caviar d’Iran, “cas de retard” avec zakouskis et “boissons renforcées”. Pendant qu’on demande au pays de serrer la ceinture, le supersonique, lui, flotte au-dessus des tickets de caisse. Voyage officiel ou surboum à 18 000 mètres?
Les dames, le supersonique et les zakouskis
Dans cette une du 28 septembre 1977, Vautier fait ce que le Canard adore: planter une épingle dans un ballon de prestige et écouter le “pschitt” avec méthode. Le ballon, ici, s’appelle Concorde. Symbole national, vitrine technologique, vitrine tout court… et, accessoirement, gouffre à finances publiques qu’on défend en serrant les dents, surtout quand on demande au pays de se serrer la ceinture.
Nous sommes au cœur des années Giscard-Barre, entre inflation, chômage qui s’installe et morale comptable en bandoulière. La France veut continuer d’avoir l’air rapide, même quand la vie quotidienne, elle, roule au pas. Et voilà donc Raymond Barre “allant plaider” à Washington la cause du supersonique: on vend l’avion comme on vendrait une idée de la France, emballée dans une soute à symboles, livrée express.
Un document Air France, et la vérité tombe du plateau-repas
Le coup de Vautier est délicieux: au lieu d’attaquer la grande politique au marteau, il sort un papier interne d’Air France (daté, cadré, bureaucratiquement rassurant) et le laisse parler. “Tout était prévu”, écrit-il. C’est précisément ça qui fait rire (jaune): tout est prévu, sauf l’effet produit quand le public découvre ce que “prévoir” signifie à 18 000 mètres.
Car dans le “déroulement du vol”, on trouve ce passage “allé droit au cœur” du Canard: un petit stock de journaux et magazines, avec, pour l’épouse du Premier ministre, cinq exemplaires du Canard enchaîné. Cinq. Pas un pour lire, mais de quoi monter une barricade en papier si l’appareil devait se poser en rase campagne. D’où le titre, venimeux et parfaitement coiffé: “le journal le plus lu à bord de Concorde (par les dames)”. Le féminisme selon Air France: l’égalité progresse, on distribue le Canard en multiples, et monsieur Barre, “timide”, n’ose même pas le demander. La satire marche parce qu’elle prend la communication officielle au mot et la fait trébucher sur ses lacets.
Et puis Vautier enfonce la plume dans la mousse du prestige: “Notre opinion sur le supersonique, son coût et sa rentabilité, est connue depuis longtemps.” Traduction: on sait que ça coûte un rein, mais on continue. Sauf qu’après ce document, il faut “avouer” que Concorde est “d’une grande utilité nationale”. Utilité de quoi? D’occuper le décor. De faire croire, le temps d’un vol, que l’époque n’a pas de facture à présenter.
“De quoi se programmarrer”: quand l’État fait régime… en sauce Jeannette
La page 8 prolonge la farce avec un titre à charnière: “se programmarrer”, moitié planning, moitié amarrage, comme si le Premier ministre était un paquebot de prestige qu’on arrime au quai des réalités. On y détaille le menu. Et là, la comédie devient presque documentaire: aspic de foie gras, paupiettes de soles aux écrevisses sauce champagne, noisette d’agneau, confit de légumes, haricots verts au beurre, “gâteau Concorde” (évidemment), fruits; au retour, caviar d’Iran, suprême de volaille, médaillon de veau cordon bleu… Le tout pendant que la France apprend à compter ses centimes et qu’on explique, la main sur le cœur, que l’austérité est un sport national.
Vautier ne dit pas seulement “c’est cher”. Il dit: c’est pensé pour que ce soit cher, cadré, justifié, imprimé. Le luxe n’est pas un dérapage, c’est une procédure.
Et la cerise sur le plateau: la rubrique “cas de retard”, qui recommande un buffet de zakouskis et petits sandwiches “pour M. Barre et sa suite”, et des “boissons renforcées” pour les autres passagers. Barre comparé à Elvis, “Barre-de-chocolat”, hanté par la disette… et la question qui tue: voyage officiel ou surboum? On imagine le formulaire: “Motif du déplacement: sauver Concorde. Besoin logistique: caviar (retour), boissons renforcées (pour patienter).”
Le vrai gag, c’est la morale finale du Canard: si Concorde est “d’utilité nationale”, alors nous aussi, Le Canard, on coûte cher à la France… et on en a presque honte. Presque. Parce que la honte, chez Vautier, sert surtout à éclairer la scène: quand l’État prêche le régime, il commence par faire embarquer les petits fours.





