N° 440 du Canard Enchaîné – 3 Décembre 1924
N° 440 du Canard Enchaîné – 3 Décembre 1924
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« En politique le désintéressement est la seule Pierre de touche », Raynaldy – Une trahison – Le scandale des intérêts économiques : un grand nombre de personnes déclare n’avoir rien touché – Qui a touché ? Monsieur Poincaré, monsieur Léon Bérard, monsieur de Rothschild – Cosas de Espana – Où allons-nous ? Les fourriers du bolchevisme sont arrivés à Paris, par Pierre Bénard – Le coup du Rajah, par G. de la Fouchardière – Le mystère de la Concorde : ne perdons pas notre sang-froid – Juste réclamation de l’Amérique – Pédagogie : à l’ombre des petites filles en fleurs – L’affaire du règlement militaire : Monsieur Maginot prouve son entière bonne foi- Les origines de M Raynaldy – Une idée saugrenue, par Whip – Hors de l’académie : M Abel Hermant reçoit Léon Bérard –
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Sous le titre faussement rassurant « Un grand nombre de personnes déclarent n’avoir rien touché », le Canard enchaîné du 3 décembre 1924 poursuit à sa manière l’un des grands feuilletons politiques de l’époque : le scandale des « Intérêts économiques », une affaire à la fois brumeuse et emblématique des compromissions de la Troisième République. L’article, non signé, relève de la pure veine du Canard des années 1920 : une satire politique minutieusement documentée, rédigée sur le ton du faux sérieux, où la dénonciation se cache derrière l’ironie d’un constat administratif.
Le scandale, évoqué ici à travers la figure de Raynaldy, ancien ministre du Commerce du cabinet Herriot, remonte à la fin de la guerre. Il s’agit de fonds publics versés à des intermédiaires et parlementaires pour la gestion d’indemnités économiques — ces fameuses « réparations » censées compenser les dommages industriels subis pendant le conflit. Or, ces versements ont pris des allures de cadeaux occultes : des chèques distribués à des élus, des fonctionnaires, voire à des notables, pour des services jamais clairement identifiés. En 1924, la Commission d’enquête parlementaire s’en empare, et les journaux flairent un scandale : l’argent des réparations, censé relever du relèvement national, aurait servi à arroser les clientèles politiques.
Le Canard enchaîné, toujours prompt à percer la façade morale de la République, transforme cette affaire en comédie judiciaire. Le titre résume tout : au lieu de proclamer leur innocence, les protagonistes se contentent de jurer qu’ils « n’ont rien touché » — une formule qui, répétée à l’envi, devient suspecte par excès de vertu. Le journal reproduit même le fac-similé d’un chèque de la Banque des Intérêts Économiques et Particuliers, payable « à l’ordre de M. X… pour la somme de dix mille francs », avec la mention ironique : « Nous n’en garantissons pas l’authenticité. » Le soupçon se glisse entre les lignes, sans accusation frontale.
L’article énumère ensuite, avec un sens du comique digne de Courteline, les dénégations des notables convoqués : Raynaldy bien sûr, mais aussi Léon Bérard, M. Diagne, M. de Rothschild, M. Poincaré. Tous affirment n’avoir rien reçu, rien signé, rien su. Bérard déclare même avec gravité : « Je n’ai pas touché... de fusil pendant toute la durée de la guerre. » La pirouette, rapportée mot pour mot, transforme la défense en boutade : on ne sait plus très bien qui se moque de qui. Le Canard, lui, se garde de commenter. Il se contente de citer — arme redoutable de son style —, laissant l’absurdité parler d’elle-même.
Cette manière de traiter un scandale financier en vaudeville illustre bien la posture du Canard enchaîné dans le paysage politique de 1924. Le gouvernement du Cartel des gauches, dirigé par Édouard Herriot, promettait moralisation et transparence après les années Clemenceau et Millerand. Mais dès son installation, la République des professeurs se heurte aux vieilles affaires de favoritisme, d’indemnités et de passe-droits. À travers le cas Raynaldy, le Canard montre que la corruption n’a pas de camp : qu’elle vienne de la droite ou du Cartel, elle relève de la même comédie du pouvoir, où les ministres changent mais les enveloppes restent.
Le scandale des « Intérêts économiques » n’aura pas la violence politique du scandale de Panama trente ans plus tôt, mais il révèle le désenchantement d’une France de l’après-guerre. Derrière l’humour, le Canard diagnostique un mal profond : la République parlementaire, engluée dans ses réseaux d’influence, s’excuse plus qu’elle ne s’explique. L’ironie du journal, en 1924, ne vise pas seulement les coupables, mais tout un système où l’on proclame sa probité comme on encaisse un chèque.
Ainsi, la satire de ce Canard du 3 décembre 1924 prend valeur de fable politique : plus que les billets, c’est le mensonge institutionnel qu’elle met à nu. À la question « Qui a touché ? », la réponse de l’époque, comme souvent, est d’une éloquence parfaite : personne.
3 décembre 1924, n°440 – Georges de La Fouchardière, « Chronique de l’œil-de-Bouif : Le coup du rajah »
En décembre 1924, Georges de la Fouchardière entraîne son Bouif bien loin de son zinc familier : jusqu’aux Indes imaginaires. Dans « Le coup du rajah », l’ivrogne raconte, à sa manière cabossée, une aventure où il aurait croisé un potentat oriental, figure grotesque de faste et de démesure.
Le texte s’amuse à mélanger clichés coloniaux et logique de comptoir. Le rajah, caricature de richesse absurde, exhibe ses trésors et ses caprices ; le Bouif, en contrepoint, réagit avec son bon sens ivre et ses boutades de bistrot. Le choc des cultures tourne vite à la farce : la grandeur prétendue du prince exotique se dissout dans la gouaille parisienne.
Derrière cette fantaisie, de la Fouchardière glisse une critique à double tranchant. D’une part, il ridiculise l’imaginaire colonial, en montrant combien ces récits d’Orient relèvent de la fable plus que de la réalité. D’autre part, il égratigne les puissants français, dont les excès rappellent ceux du rajah : fastueux, vaniteux, éloignés du peuple.
Avec ce « coup du rajah », le Bouif prouve sa capacité à tout tourner en dérision, du palais lointain aux coulisses de la République. L’ivrogne de bistrot devient globe-trotter satirique, révélant que les travers humains se ressemblent partout : orgueil, cupidité, ridicule. Et que le rire, lui, reste universel.