N° 635 du Canard Enchaîné – 29 Août 1928
N° 635 du Canard Enchaîné – 29 Août 1928
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La paix en gros plan : quand le Canard enchaîné se paye le pacte Kellogg
Le Canard enchaîné, 29 août 1928 — dessin de Guilac
Le 29 août 1928, Le Canard enchaîné s’empare de la signature du pacte Briand-Kellogg — ce traité censé bannir la guerre — pour en faire une leçon de pacifisme… photographique. Sous le trait de Guilac et la plume d’un rédacteur ironique, le “désarmement” devient un mot creux, soigneusement mis en scène sous les “sunlights” des caméras. À la paix des peuples, le Canard oppose la paix en studio : un spectacle pour les foules, où l’image vaut bien les canons.
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Le 29 août 1928, Le Canard enchaîné consacre sa une à ce qui fut présenté comme un événement planétaire : la signature du pacte Briand-Kellogg, traité par lequel soixante nations s’engageaient solennellement à “renoncer à la guerre”. Dans la presse mondiale, c’est une euphorie diplomatique : on parle d’un “nouveau 14 juillet de la paix”.
Mais au Canard, la plume reste trempée dans le vinaigre.
Sous le grand titre “Désarmement”, un premier article feint d’applaudir le mouvement : “La paix étant maintenant décidée entre les peuples, il est bien certain qu’on va marcher rapidement au désarmement… des autres.” En une phrase, tout est dit : la France, qui se drape dans son humanisme républicain, n’entend nullement renoncer à ses armes, ni à sa domination coloniale, ni à sa présence militaire en Rhénanie jusqu’en 1935.
La satire repose sur ce retournement typique du Canard : les belles paroles du jour sont retournées comme des gants, pour révéler leur hypocrisie.
L’auteur manie le double langage avec un flegme ravageur : “Décider le désarmement de la France aurait presque fatalement pour conséquence la suppression des grandes manœuvres.” Or, ces manœuvres sont à la fois un rituel militaire et un spectacle national, “strictement humanitaire, au-dessus de tout soupçon”. L’absurde bureaucratique le dispute au comique de répétition : à force de bonnes raisons de ne rien faire, on célèbre la paix sans désarmer d’un bouton.
Vient alors l’autre moitié de la page : “La signature du pacte Kellogg a été essentiellement photogénique”. Le ton bascule dans la chronique mondaine. L’événement est raconté comme un tournage de cinéma : “huit sunlights”, “douze appareils de prises de vues”, des diplomates posant sous les projecteurs “pour déverser leur lumière sur les augustes signataires”.
Le texte raille cette diplomatie de l’image, où la paix devient une “révélation photogénique, gramophonique et radiodiffusée”. L’auteur, moqueur, remercie le ministère des Affaires étrangères d’avoir su “saluer cette entrée des manifestations internationales dans la voie de la Science et du Perfectionnement”. La politique, désormais, se consomme comme un film.
Le dessin de Guilac, en contrepoint, appuie la charge : autour d’une table, diplomates et photographes se pressent dans une mise en scène grotesque. Les signataires semblent moins conclure la paix que chercher le meilleur angle.
Ce contraste entre texte et image compose une satire complète du “pacifisme-spectacle” des années 1920 : la paix n’est plus un projet, mais un produit.
Historiquement, le Canard met le doigt sur l’essentiel : derrière la grandiloquence du pacte Briand-Kellogg, signé entre autres par la France, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon, se cache une promesse creuse. Le traité ne prévoit aucune sanction pour ceux qui violeraient la paix — ce que l’Allemagne, l’Italie ou le Japon ne tarderont pas à vérifier dix ans plus tard.
En 1928, pourtant, la presse française rivalise d’optimisme. Seul Le Canard enchaîné rappelle que la guerre n’a pas disparu — elle s’est seulement travestie en cérémonie médiatique. À la “paix des peuples”, le journal oppose la paix des projecteurs.
Et en guise de canon de la victoire, il tire un coup de flash.

      



