N° 765 du Canard Enchaîné – 25 Février 1931
N° 765 du Canard Enchaîné – 25 Février 1931
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25 février 1931 — Quand la commission se prend les pieds dans l’Oustric
Rivet fait parler les témoins… jusqu’à ce qu’ils nomment Chiappe
Sous la plume de Jules Rivet, l’audition d’André Benoist devient un interrogatoire délirant : coups, cris et cigares brûlants à l’appui. Mais lorsque le témoin évoque le nom du préfet Chiappe, les enquêteurs paniquent : “Tais-toi ! on ne t’en demande pas tant !”
En une chute magistrale, Le Canard révèle que, dans la République de 1931, on cherche la vérité… à condition qu’elle ne monte pas trop haut.
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Les aveux spontanés de M. André Benoist
Le Canard enchaîné du 25 février 1931 livre à sa une une scène d’anthologie signée Jules Rivet, illustrée par Henri Guilac : « Les aveux spontanés de M. André Benoist ». Derrière la farce, l’un des coups de bec les plus féroces du journal contre la pseudo-moralisation politique de l’affaire Oustric.
En cette fin d’hiver 1931, la commission d’enquête parlementaire poursuit ses auditions sur ce scandale financier qui a éclaboussé jusqu’aux ministres. Albert Oustric, roi de la spéculation, avait ruiné épargnants et banques, entraînant dans sa chute une partie du personnel politique de la Troisième République. L’affaire promettait d’être exemplaire ; elle devient, sous la plume du Canard, une tragédie bouffonne où les enquêteurs ressemblent davantage à des tortionnaires de vaudeville qu’à des juges incorruptibles.
Rivet recompose l’audition du témoin André Benoist comme une séance d’interrogatoire sadique : “dépouillé de ses vêtements et conduit en caleçon”, il reçoit “des coups de poing dans l’estomac”, “quelques bons coups de pied dans les côtes”, et même “le bout des cigares” sur les mollets. À chaque dénégation, un coup ; à chaque aveu, une volée supplémentaire. Tout l’article repose sur cette mécanique absurde : l’aveu n’a aucune valeur, le silence encore moins. La justice parlementaire apparaît comme une caricature de la police d’État — celle-là même que Le Canard dénonce depuis des années.
Mais c’est la chute qui révèle la cible véritable. Alors que Benoist, à force de coups, finit par tout avouer, il glisse soudain un nom : Chiappe, le tout-puissant préfet de police, homme-clé du régime et bête noire du Canard.
“M. Chiappe, dit-il, m’a laissé tomber ; il m’a trahi, et ça n’est pas bien !”
Aussitôt, écrit Rivet, “l’attitude des enquêteurs changea : — Tais-toi ! lui crièrent-ils, on ne t’en demande pas tant !”
D’un coup, les bourreaux deviennent embarrassés ; on n’écrase plus, on fait taire. C’est le moment où la satire se transforme en diagnostic : la République, courageuse jusqu’à ce qu’un nom compromettant soit prononcé, pratique la vertu sélective. Tant qu’il s’agit de taper sur les seconds couteaux, la commission redouble d’énergie ; mais dès qu’apparaît l’ombre d’un protecteur haut placé, la comédie s’interrompt brutalement.
Ce renversement donne à la scène toute sa portée politique. Rivet n’épargne personne : ni les parlementaires-inquisiteurs, ni la police de Chiappe, ni la morale à géométrie variable du pouvoir. En feignant d’en rire, il rappelle que la corruption n’est pas seulement une affaire d’argent, mais d’immunité.
Le dessin de Guilac, montrant Benoist nu comme un ver face à ses inquisiteurs tirés à quatre épingles, renforce ce contraste : ceux qui se prétendent vertueux sont les plus grotesques, ceux qui confessent sont les seuls sincères — par épuisement. Le rire, chez Rivet, a valeur d’acte d’accusation : il dévoile la lâcheté derrière le zèle.
Ainsi, l’article ne se conclut pas sur un gag, mais sur un silence : celui qu’imposent les puissants quand on s’aventure trop près d’eux. Et ce silence, Le Canard le remplit de rires.





