N° 2288 du Canard Enchaîné – 26 Août 1964
N° 2288 du Canard Enchaîné – 26 Août 1964
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Pour crime de lèse-micro ! Voilà un objet bien singulier, fruit des avancées récentes, mi-oreille, mi-vermicelle, conçu pour restaurer la voix perdue de nos contemporains. Il n’y a pas si longtemps, un chanteur se produisait seul sur scène, un tribun discourait sans artifice à la tribune. Yvette Guilbert captivait son public à La Scala sans le secours de la technologie. Aujourd’hui, ministre ou artiste de la pop culture, la priorité est d’abord à la « sono », ce curieux cordon ombilical pendu devant la bouche des célébrités. Et les mains zélées de l’ingénieur du son installent avec minutie ce petit instrument dont la traduction latine exacte devrait être : « chose n’appartenant à personne ». Le microphone, ou « res nullius », comme je me plais à le traduire, est suprêmement anonyme. Il n’intervient pas dans le contenu qu’il transmet, que ce soit du sublime ou du médiocre. Il est la force de frappe, avec un fil au bout, aussi innocent qu’une brebis. Il est notable qu’aucun microphone n’ait porté plainte contre les insanités qui lui sont parfois confiées. C’est pourquoi le crime de lèse-micro n’a pas encore été inscrit dans les textes de loi, au grand soulagement de certains bavards de la R.T.F. Pourtant, ce crime existe bel et bien. Morvan Lebesque, dans son article, relate le cas de M. Jacques Maurel, étudiant à Gerbéviller, récemment inculpé pour « usage de haut-parleur sans autorisation ». Sa réaction initiale fut triple : étonnement, satisfaction et effroi. Étonnement devant la prolifération quotidienne des interventions au micro, satisfaction à l’idée d’une éventuelle régulation pour lutter contre le bruit, et enfin effroi à l’idée des conséquences pour ceux qui s’aventureraient à interrompre impromptu une allocution. Pourtant, en examinant les propos de M. Maurel, Lebesque peine à trouver en quoi ils peuvent offenser. Sa courtoisie envers le ministre et sa déclaration en faveur de la paix ne semblent pas mériter une réprimande. Il semble avoir simplement contredit l’affirmation du ministre selon laquelle les héros de demain seraient des héros guerriers. Trancher entre les visions du ministre et de l’étudiant revient à privilégier la logique : il est plus plausible que des héros de paix se lèvent en France demain. Certes, M. Maurel a été inculpé pour avoir utilisé un haut-parleur sans autorisation, mais cela soulève une question : dans un régime où toute prise de parole impromptue est réprimée, quand pourra-t-on faire entendre des voix dissidentes ? Qui viendra au secours de ceux qui, peut-être demain, s’empareront d’un micro pour crier sans autorisation « Vive la force de frappe ! » ou « Vive de Gaulle ! » ?
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