N° 1696 du Canard Enchaîné – 22 Avril 1953
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Les Deux Timides
Dans son pastiche irrésistible publié en une du Canard du 22 avril 1953, Tréno revisite Les Deux Timides de Labiche en remplaçant les amoureux empotés par Eisenhower et Malenkov. Les deux dirigeants tournent autour du mot “paix” comme s’il s’agissait d’un secret inavouable, tandis que Dulles, en coulisses, sabote toute avancée. Au lendemain de la mort de Staline et en plein flottement diplomatique mondial, Tréno transforme la guerre froide en vaudeville grinçant : une comédie où la paix existe… mais où personne n’ose la laisser entrer en scène.
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Quand Tréno transforme la diplomatie de 1953 en vaudeville : “Les Deux Timides”,version Eisenhower–Malenkov
Labiche revisité pour raconter la guerre froide
En une du Canard enchaîné du 22 avril 1953, Tréno livre une pièce courte irrésistible : « Les Deux Timides (version revue et corrigée) ». Le titre annonce la couleur : il s’agit d’un pastiche de Labiche, mais transposé dans l’univers géopolitique du moment. Les deux “timides” ne sont plus deux bourgeois empotés de la comédie française, mais Dwight Eisenhower — élu président cinq mois plus tôt — et Guéorgui Malenkov, successeur apparent de Staline depuis sa mort, le 5 mars 1953.
Tréno n’a pas choisi Labiche par hasard : le canevas des Deux Timides repose sur deux personnages trop embarrassés pour dire ce qu’ils pensent. Or, c’est précisément la posture qu’adoptent les deux blocs en ce printemps 1953 : chacun donne l’impression de vouloir la “paix”, mais aucun n’ose la prononcer, ni même en assumer la possibilité. Le sketch de Tréno met en scène cette gêne, cette paralysie, cette hésitation qui, dans la réalité diplomatique, pourrait mener à l’impasse — ou pire.
1953 : un moment de flottement mondial
Le contexte explique tout. Depuis la mort de Staline, la direction soviétique est en pleine recomposition : Malenkov est officiellement numéro un, mais Beria agit dans l’ombre, et personne ne sait si Moscou prépare un durcissement ou un assouplissement. Les États-Unis, eux, viennent d’élire l’ancien général Eisenhower, considéré comme rassurant sur le plan militaire mais imprévisible sur le plan diplomatique.
La négociation d’un possible armistice en Corée plane sur tout. On en parle à voix basse, comme d’un tabou. La paix est envisagée, mais chacun redoute que l’autre y voie un signe de faiblesse.
Et c’est là que Tréno frappe.
Une comédie où personne n’ose dire “paix”
Tout le sketch repose sur une mécanique délicieuse : Eisenhower et Malenkov tournent autour du mot “paix” comme s’il s’agissait d’un terme obscène.
Ils s’apprêtent à parler ; ils n’osent pas.
Ils veulent faire un geste ; ils se ravisent.
Ils voudraient tendre la main ; ils remettent “à plus tard”.
Cette danse grotesque, Tréno la traduit en répliques savoureuses :
« C’est que… j’aimerais d’abord l’entendre de votre bouche. »
Ou encore :
« Les deux sots ! Ils n’arriveront pas à prononcer mon nom ! » (la Paix, en coulisses)
La personnification de la Paix est l’un des coups de génie du texte. Elle se tient “derrière un portant”, comme une comédienne attendant son tour, mais incapable d’entrer en scène tant que les acteurs principaux bafouillent. L’absurde devient politique : la Paix existe, elle est là, elle observe, mais ceux qui sont censés l’incarner la repoussent par bêtise, orgueil ou nervosité.
Le troisième personnage : Dulles, l’empêcheur de pacifier en rond
La chute introduit un élément encore plus incisif : John Foster Dulles, le secrétaire d’État américain, surgit soudainement “en coulisses” pour rappeler Ike à l’ordre.
Dulles est alors l’un des faucons les plus influents de Washington, partisan d’une ligne dure envers Moscou. Tréno l’utilise exactement comme un valet de comédie : un personnage secondaire qui fait dérailler la scène au moment même où elle allait peut-être s’achever sur une réconciliation.
Ce coup de théâtre final illustre une vérité :
même lorsqu’Eisenhower se montre ouvert à la discussion, son administration — dominée par Dulles — sabote ou tempère toute velléité de détente.
Résultat : Ike ne sait même plus pourquoi Dulles l’appelle. Et Malenkov, seul sur scène, s’interroge : « Qui diable me dira ce qu’il me voulait ? »
Un dialogue parfait pour exprimer la confusion diplomatique de 1953.
Une lecture impitoyable de la realpolitik
On aurait tort de lire cette saynète comme une simple fantaisie. Comme toujours chez Tréno, l’humour sert de scalpel. Cette comédie montre un monde où :
* les dirigeants n’osent pas dire ce qu’ils pensent ;
* la peur du ridicule bloque les gestes de paix ;
* les conseillers les plus durs tirent les ficelles ;
* l’absurde règne sur les relations internationales.
Le texte évite l’un des pièges de la satire de la guerre froide : il se moque des deux blocs en même temps, sans jamais céder à l’anti-américanisme ou à la naïveté prosoviétique. Le ridicule est partagé. Eisenhower rougit, Malenkov balbutie ; tous deux, écrit Tréno, sont “timorés”, mal à l’aise, incapables d’être à la hauteur d’un moment historique où la paix — la vraie, pas celle des communiqués — aurait pourtant eu sa chance.
Au fond, une mise en garde
Tréno ne le dit pas, mais tout son sketch prévient le lecteur : la paix ne dépend pas seulement des grands événements, mais aussi des tempéraments des hommes.
Or, en 1953, ces tempéraments sont hésitants, craintifs, embarrassés — exactement comme dans la pièce de Labiche.
Et la Paix, elle, attend derrière le portant.
Rideau.
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