N° 175 du Canard Enchaîné – 5 Novembre 1919
N° 175 du Canard Enchaîné – 5 Novembre 1919
89,00 €
En stock
M. Loucheur reçoit dans le Nord un accueil inoubliable
Dans son édition du 5 novembre 1919, Le Canard déchaîné décrit l’« accueil inoubliable » réservé à M. Loucheur, ministre de la Reconstitution nationale, en visite dans le Nord. Mais derrière les récits officiels de liesse, le journal tourne en dérision la scène, soulignant la défiance d’une population meurtrie par la guerre et prompte à dénoncer les profiteurs. Entre discours convenus et caricature grinçante de Guilac, la satire vise autant le ministre que le théâtre électoral de la République de l’après-guerre.
Profiteurs, dessin de Jean Oberlé
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
L’article publié à la une du Canard déchaîné du 5 novembre 1919 illustre à merveille le double langage de la presse satirique : reprendre la rhétorique officielle pour mieux en démonter les ressorts. Le ministre de la Reconstitution nationale, Louis Loucheur, est présenté comme accueilli en « sauveur » par les populations du Nord libéré, meurtries par quatre années d’occupation. Le texte évoque avec emphase des habitants reconnaissants, conscients que la prospérité retrouvée serait due à l’action clairvoyante du ministre.
Pourtant, il suffit de lire entre les lignes – et surtout d’observer le dessin de Guilac qui accompagne l’article – pour saisir la véritable tonalité. On y voit Loucheur, bedonnant et satisfait, conduit à la mairie par une foule rageuse armée de fourches et de pancartes criant « À bas les profiteurs ! ». L’« enthousiasme » populaire vanté dans le récit se transforme ainsi en sarcasme visuel : la reconnaissance tant célébrée par les mots officiels est remplacée, dans l’imagerie satirique, par une colère sourde contre ceux qui profitent de la situation.
Cette double lecture correspond à une stratégie classique du Canard : feindre de s’aligner sur le discours des journaux gouvernementaux pour mieux en dévoiler l’artifice. La visite ministérielle est décrite avec toutes les formules convenues – « réception à la mairie », « ovation des sociétés locales », « foule émue » – mais chaque phrase sonne faux lorsqu’on la rapproche de la caricature. Le contraste crée un effet comique dévastateur : ce qui est présenté comme une apothéose devient en réalité une charge féroce contre l’opportunisme électoral.
Il faut replacer ce texte dans son contexte : nous sommes à l’automne 1919, à quelques semaines des élections législatives de novembre. Loucheur, comme d’autres ministres de Clemenceau, multiplie les déplacements pour se donner une image de bâtisseur national. Mais la réalité est plus contrastée : les régions du Nord, ravagées par la guerre, tardent à recevoir les aides promises, et la vie chère frappe durement les populations. La colère sociale gronde, attisée par les accusations de profits indus réalisés par certains industriels.
En reprenant le lexique de la gratitude et en le détournant par l’image, Le Canard déchaîné révèle la fracture entre la propagande officielle et le ressenti populaire. L’« accueil inoubliable » n’est pas celui d’une foule reconnaissante, mais celui d’un peuple méfiant, prompt à rappeler aux ministres qu’on ne nourrit pas les affamés de discours.

 
      



