N° 187 du Canard Enchaîné – 28 Janvier 1920
N° 187 du Canard Enchaîné – 28 Janvier 1920
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DERNIÈRE HEURE : UN PATRIOTIQUE DÉBAT A LA CHAMBRE
Veuves, orphelins… et grandes tirades parlementaires
Sous le titre solennel « La grande Œuvre de Reconstitution Nationale est commencée », Le Canard déchaîné du 28 janvier 1920 s’empare d’un débat parlementaire présenté comme un élan patriotique en faveur des veuves, des orphelins et des régions libérées. Mais derrière les envolées lyriques, la plume du journal souligne surtout le théâtre oratoire d’une Chambre qui applaudit ses propres discours plus qu’elle n’allège les misères du pays. Entre tirades de Léon Daudet, interruptions cocasses, et caricature de Guilac montrant députés et public noyés dans le verbe, la « reconstitution nationale » prend des airs de comédie parlementaire.
Clémenceau-Perrette et le pot -au-lait, dessin de Raoul Guérin.
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À la lecture de ce numéro du 28 janvier 1920, le lecteur du Canard déchaîné découvre un texte qui illustre parfaitement la manière dont l’hebdomadaire satirique se saisit de la solennité républicaine pour en montrer le côté factice. Le titre annonce une « grande Œuvre » : il s’agit d’un débat à la Chambre des députés, où l’on proclame vouloir soutenir veuves, orphelins et régions meurtries par la guerre. Autrement dit, un sujet grave, porteur d’émotion collective, susceptible de rassembler toutes les tendances.
Mais dès les premières lignes, le ton choisi par le Canard installe un décalage. La séance est présentée comme l’« aube d’une ère nouvelle », avant d’être décrite dans ses détails les plus triviaux : Raoul Péret s’installe au fauteuil, Millerand se lance dans un discours de pure rhétorique, et la solennité est sans cesse interrompue par des échanges de piques. On retrouve ici le style du journal : montrer l’écart entre le pathos des déclarations et la réalité d’une Chambre où l’on se coupe la parole, où l’on rivalise d’emphase, et où l’on rit volontiers aux dépens des adversaires.
Les interventions de Léon Daudet occupent une place particulière. Son verbe tonitruant, mêlant indignation et métaphores grandiloquentes, devient matière à satire. Lorsqu’il tonne sur la nécessité d’augmenter les pensions des veuves de guerre ou fustige les « fripouilles » qui se cacheraient derrière certains calculs financiers, le Canard souligne moins le fond que la théâtralité. Les interruptions d’autres députés — « C’est exact », « C’est tapé » — ponctuent la scène comme des répliques d’une comédie.
L’illustration de Guilac, insérée dans l’article, parachève cette mise en ridicule. On y voit députés et spectateurs gesticuler, une foule indistincte où la gravité disparaît sous l’excès du verbe. La « reconstitution nationale » tant vantée n’apparaît plus que comme une reconstruction oratoire, où l’on bâtit davantage sur des phrases que sur des lois.
Le contexte de janvier 1920 explique la portée satirique de ce choix. La guerre est finie depuis à peine un an et la France fait face à une situation économique et sociale tendue : inflation, chômage, difficultés de réinsertion pour les mutilés. Les pensions, les indemnités, l’aide aux régions détruites ne sont pas des abstractions. Pourtant, à en croire Le Canard, les députés s’emparent du sujet moins pour agir que pour briller.
En définitive, ce numéro illustre une critique constante du journal : la République parlementaire adore se mettre en scène comme gardienne de la Nation, mais elle confond trop souvent la grandeur des intentions avec la médiocrité des pratiques. En exposant cette contradiction, Le Canard déchaîné transforme la « grande œuvre » en une farce, où l’éloquence remplace l’action et où la politique n’est qu’un spectacle de tribune.





