Mademoiselle Q, vous n’êtes qu’une salope ! par R. Tréno –

Les journalistes du Canard enchaîné n’étaient pas de fervents partisans de la IV^e République, laquelle, à la une du numéro du 14 août 1957, fut qualifiée sans ménagements de « salope » par Tréno, le rédacteur en chef. Tous n’avaient cessé, durant la brève existence de la IV^e, de dénoncer les scandales politico-financiers, l’incurie des gouvernements successifs, les manœuvres et les tractations politiciennes, les ratés et les lenteurs de la reconstruction, l’influence des groupes de pression (Église, intérêts agricoles et viticoles …), les restrictions apportées à la liberté de la presse, les guerres coloniales et, en particulier, la désastreuse gestion de la guerre d’Algérie, ils ne pouvaient donc la regretter sans se renier. Pour autant, la Constitution de 1946 ne fut jamais remise en cause dans les colonnes du Canard ; c’est la médiocrité du personnel politique chargé de la mettre en œuvre qui était selon sa rédaction à l’origine de toutes les difficultés, la IV^e apparaissant à Tréno comme une « République sans républicains ». Les journalistes du Canard ne pouvaient donc se joindre à ceux qui se réjouirent de sa disparition, d’autant que beaucoup parmi ces derniers avaient travaillé à l’affaiblir par leur comportement ou leurs déclarations. C’était le cas, selon eux, du général de Gaulle qui, sous prétexte de ne pas se mêler au jeu des partis, avait refusé de se prêter au jeu démocratique. Les circonstances troubles de son retour au pouvoir à la faveur de la crise algérienne alimentèrent les soupçons envers les intentions réelles du Général.

MARTIN Laurent, « De Gaulle et Le Canard enchaîné : je t’admire, moi non plus », Sociétés & Représentations, 2013/2 (n° 36), p. 109-123.