N° 195 du Canard Enchaîné – 24 Mars 1920
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Demain, 25 mars, Annonciation … Hum ! Qu’est-ce qu’on va encore bien nous annoncer ?
La Révolution allemande est une Kolossale Komédie !
Quand Maurice Maréchal titre en manchette que « La Révolution allemande est une Kolossale Komédie », il ne fait pas un cours d’histoire immédiate : il épingle surtout la presse et les politiques français, prompts à transformer chaque soubresaut berlinois en drame planétaire. Avec ses germanismes ridiculisés et ses images de théâtre de pacotille, l’article dénonce une rhétorique alarmiste qui recycle les troubles d’outre-Rhin pour nourrir la peur et flatter le patriotisme. Une satire qui dit moins ce qu’il faut penser de l’Allemagne que ce qu’il faut penser du récit qu’on en fait.
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Le 24 mars 1920, Maurice Maréchal signe un article qui, au premier regard, pourrait être lu comme une analyse politique : il décrit le putsch de Kapp et les troubles spartakistes qui secouent l’Allemagne comme une « comédie », un spectacle mal ficelé destiné à abuser l’opinion. Mais en réalité, ce texte est avant tout une charge contre la manière dont on en parle en France.
Dès le titre, l’orthographe germanisante (« Kolossale Komédie », « Kamouflage ») joue le rôle de caricature : c’est moins l’Allemagne qu’on moque que les journaux français qui singent l’ennemi pour mieux frapper les esprits. Le procédé est classique dans Le Canard déchaîné : retourner les slogans et les effets de manche de la presse sérieuse pour en révéler le ridicule.
Le fil de l’article est limpide : ces « révolutions » qui se succèdent à Berlin sont trop bien réglées pour être sincères. Les barricades se dressent mais la foule se tient bien, les morts tombent au moment opportun, les manifestants obéissent à un mystérieux mot d’ordre… Tout ressemble à une mise en scène. Mais ce que Maréchal attaque, ce n’est pas tant la réalité de ces événements que la façon dont certains en France s’en emparent. Car à qui profite cette image d’une Allemagne secouée par le chaos ? Aux politiques qui veulent justifier une ligne dure vis-à-vis de Berlin. Aux journaux qui font monter la tension pour vendre du papier. Aux alarmistes qui agitent le spectre bolchevique pour mieux appeler à la discipline nationale.
En dénonçant la « kolossale komédie », Maréchal ne dit pas que rien ne se passe en Allemagne, il dit que la France se complaît dans le récit d’une Allemagne théâtralisée : une succession de drames joués pour un public allié qu’on veut tenir en haleine. L’ironie vise la mécanique médiatique elle-même : il faut du sang, du bruit et de la peur pour que l’histoire paraisse crédible.
Replacé dans son contexte, ce texte prend tout son sens. Le putsch de Kapp (13-17 mars 1920) et la grève générale qui l’a fait échouer ont en effet secoué la République de Weimar, mais ces événements, complexes et confus, furent immédiatement simplifiés et instrumentalisés. La France, qui exigeait le paiement des réparations et redoutait un basculement révolutionnaire, avait tout intérêt à décrire une Allemagne instable, oscillant entre coup d’État militaire et révolution bolchevique. C’est ce double discours — peur de l’ennemi et peur du chaos — que Maréchal raille, en le réduisant à une pièce de boulevard.
Ainsi, La Révolution allemande est une Kolossale Komédie n’est pas une chronique étrangère, mais un miroir tendu à la presse et à la politique françaises. En tournant en dérision les récits catastrophistes, Le Canard déchaîné rappelle qu’il faut se méfier non seulement des événements eux-mêmes, mais surtout de la manière dont on les raconte.





