N° 196 du Canard Enchaîné – 31 Mars 1920
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Si on considère ce qu’ ils nous ont donné pour Pâques, qu’est-ce que nous allons prendre pour la Trinité ?
LES 27.000 – La fermeture du Petit Café
27 000 francs par an : voilà désormais ce que coûtent nos députés à la République en 1920. Dans Le Canard déchaîné du 31 mars, Roland Catenoy s’amuse à mettre la somme en équivalence : lacets, bocks de bière ou chaussures « yokos ». Mais derrière la raillerie, c’est tout un débat sur la rémunération des élus qui refait surface, dans une France où l’inflation, les grèves et la reconstruction posent déjà la question brûlante de la justice sociale.
Les Pâques du consommateur, dessin de Guilac
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L’article de Roland Catenoy, publié le 31 mars 1920 sous le titre « La fermeture du Petit Café », se situe dans un contexte particulièrement tendu : celui de l’après-guerre où la vie chère frappe durement la population, tandis que l’Assemblée vient d’augmenter substantiellement l’indemnité parlementaire. Cette mesure, qui porte les revenus des députés à 27 000 francs par an, soulève évidemment l’indignation — et fournit une formidable matière à la satire.
Catenoy attaque sur deux fronts : le portefeuille et la morale. Il commence par des équivalences burlesques, traduisant l’indemnité en biens de consommation courante : « deux cent cinquante paires de lacets », « deux cent dix bocks » ou « une paire de chaussures ». L’effet comique est immédiat : il réduit la dignité parlementaire à une transaction de café du commerce. Mais très vite, l’article prend une tournure plus acide : qui accepterait de payer 127 francs par jour (le calcul ramené à la séance) pour un député qui se contente de lire Le Figaro et L’Écho de Paris avant d’aller fumer un cigare boulevard Saint-Germain ?
Dans le contexte de 1920, ce sarcasme prend tout son sens. La guerre vient de s’achever, la reconstruction exige d’énormes sacrifices financiers, l’impôt pèse lourd sur les classes moyennes et populaires, tandis que les prix explosent. Le pain, le beurre, l’huile, tout est hors de prix. Le contraste entre le labeur quotidien des électeurs et l’oisiveté supposée de leurs représentants devient une cible idéale pour Le Canard.
Le « Petit Café » évoqué par Catenoy est plus qu’un lieu : il symbolise une connivence entre parlementaires et administration, une sorte de caisse parallèle où l’on se débrouille pour distribuer des subsides avec discrétion. Clemenceau lui-même en avait été l’instigateur. Mais dans la plume du satiriste, cette institution prend les allures d’une mascarade : les fonctionnaires y jouaient aux garçons de café pour mieux faire croire aux députés qu’ils « gagnaient » leurs étrennes.
La chute est sans appel : fermer le café, oui, mais pour en faire un véritable débit de boissons qui, lui au moins, rapporterait à l’État. Ainsi, sous la plaisanterie, se profile une critique sérieuse : les fonds secrets et les allocations parlementaires, coûteuses et opaques, devraient être réaffectés à des « œuvres de paix », dit Catenoy, qui pousse l’ironie jusqu’à proposer… la fabrication d’un canon de 250 kilomètres de portée.
En somme, l’article s’inscrit dans une veine bien connue du Canard : faire rire en multipliant les images absurdes, mais surtout mettre en lumière un scandale bien réel. En 1920, alors que l’État prêche l’austérité et réclame l’effort de tous, la revalorisation des indemnités parlementaires ne pouvait qu’attiser la colère populaire — et l’imagination satirique.





