N° 197 du Canard Enchaîné – 7 Avril 1920
N° 197 du Canard Enchaîné – 7 Avril 1920
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Il parait que la Grève du droit n’était pas tout à fait terminée.
Pourquoi renvoyer la classe 18
En avril 1920, alors que la France panse encore ses plaies, un débat brûlant agite l’opinion : faut-il démobiliser les jeunes de la classe 18 ou les maintenir sous les drapeaux ? Dans Le Canard déchaîné, Rodolphe Bringer s’empare de la question avec une ironie féroce. Il vante les « soldats parfaits » qui n’auraient rien à gagner à retourner dans la vie civile, mais tout à perdre en quittant l’armée : emploi, logement, nourriture. Derrière la satire, c’est bien la peur du chômage, de la misère et de la démobilisation qui affleure, dans une société en reconstruction.
Un enseignement qui porte ses fruits, dessin de Guilac
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Publié le 7 avril 1920, l’article de Rodolphe Bringer, Pourquoi renvoyer la classe 18, illustre parfaitement l’art du Canard déchaîné de retourner les discours officiels par le biais de la caricature. À première lecture, le texte semble défendre le maintien sous les drapeaux des jeunes mobilisés en 1918. Bringer accumule les arguments : habitués à la vie militaire, aguerris par la guerre et par la caserne, parfaitement « instruits », ils constituent une génération de soldats qu’il serait absurde de renvoyer à la vie civile. Mais la clef est ailleurs : l’article pastiche en réalité le discours des partisans de la démobilisation différée pour mieux en montrer l’absurdité.
Le contexte historique est essentiel. Depuis l’armistice de novembre 1918, la France vit au rythme des vagues de démobilisation. Mais les besoins militaires restent importants : occupation de la Rhénanie, incertitudes à l’Est, grèves et instabilité politique en Allemagne. En 1920, le gouvernement hésite : faut-il renvoyer la classe 18, soit les jeunes nés en 1898, ou la garder sous l’uniforme ? Pour les intéressés, l’attente est insupportable. La guerre a duré deux ans de plus qu’espéré, et voilà qu’on les retient encore. Dans les casernes, la lassitude grandit, et des mouvements de protestation éclatent.
Bringer, lui, choisit la satire. Sa logique est volontairement poussée à l’extrême : ces jeunes « nourris, logés, vêtus par l’État » seraient incapables de se débrouiller seuls dans la vie civile. Renvoyés chez eux, ils découvriraient brutalement le prix du pain, des habits, du logement… Ce serait les condamner « à mourir de faim » ! La caricature est évidente : derrière la plume, c’est toute la misère sociale de la France d’après-guerre qui affleure. Ces jeunes soldats risquent en effet de retrouver le chômage, la pénurie de logements et la vie chère. Bringer exagère sciemment, mais pointe un problème réel : que faire de cette génération une fois démobilisée ?
Le trait se durcit encore lorsqu’il évoque l’unique métier appris par ces hommes : « celui des armes ». Les renvoyer, écrit-il, serait les empêcher d’exercer leur seule compétence. On retrouve ici une ironie amère : la guerre a façonné une génération de jeunes sans avenir civil, dont l’État ne sait plus que faire.
L’article, sous couvert d’éloge des vertus militaires, est donc une dénonciation implicite de la démobilisation à reculons et de l’impréparation sociale. Comme souvent dans Le Canard, l’humour masque mal la gravité du sujet : la difficile reconversion d’un pays sorti exsangue de la guerre, et la crainte d’une jeunesse sacrifiée deux fois, d’abord au front, puis dans la paix mal assurée.





