N° 200 du Canard Enchaîné – 28 Avril 1920
N° 200 du Canard Enchaîné – 28 Avril 1920
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Dernier numéro du Canard Déchaîné…à la veille du 1er mai
Journée des bottes
Le Canard anticipe un 1er Mai particulièrement agité et répressif. Malgré les velléités réformatrices du ministre du travail, au sein du gouvernement Millerand, très à droite, les syndicats appellent à un grand mouvement social. Grèves qui toucheront les banques, les grands magasins, et les compagnies de chemin de fer. Fini les muguets fleuris : place aux bottes, au bitume, à la répression. Entre un dessin de Guilac transformant le brin printanier en botte martiale et un éditorial ironisant sur les soldats transformés en jardiniers de l’ordre, le journal fustige la criminalisation des manifestations ouvrières. Dans ce numéro, humour et colère se rejoignent pour rappeler que le « travail hebdomadaire » des masses reste écrasé sous la botte, tandis que les gouvernants, de San Remo à Paris, manient diplomatie et privilèges avec désinvolture.
Dessin de Guilac encadrant la une
A la recherche des milliards, dessin de Sach –
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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La Une du 28 avril 1920 du Canard déchaîné est dominée par une inversion symbolique : au lieu des brins de muguet traditionnellement associés au 1er mai, on ne parle que de bottes. Le titre « Journée des Bottes » donne le ton. Le dessin de Guilac, où un brin de muguet attire curieusement les mouches, illustre cette perversion : la fête du travail et du printemps est confisquée par l’autorité et la force armée.
Depuis la fin de la guerre, le 1er mai est un enjeu central. Héritée des luttes ouvrières internationales, cette journée de revendications sociales effraie les gouvernements français de l’immédiat après-guerre. La peur du « bolchevisme » — alors que la révolution russe est encore récente et que l’Europe entière tremble devant l’agitation sociale — pousse l’État à militariser la rue. Le Canard le souligne avec ironie : « On cesse sur les chantiers qui est le plus gros soldat, et dans les usines qui est le plus gros travailleur. » La fête des travailleurs se transforme en parade martiale, sous l’œil soupçonneux des autorités.
La page développe cette satire par une série de textes. Dans « Le Travail hebdomadaire », l’hebdomadaire reprend l’idée que les peuples « doivent travailler et payer », tout en dénonçant l’injustice d’un système qui exige des sacrifices sans contrepartie réelle. L’ironie est mordante : à force de rabâcher le mot « devoir », l’État finit par vider de sens la notion même de travail libre et émancipateur.
En contrepoint, l’article « Et pourquoi pas ? » élargit la critique à la scène internationale. Depuis San Remo, on apprend que Millerand aurait glissé sa propre fille dans les combinaisons diplomatiques. Le Canard raille cette confusion des sphères publiques et privées, où affaires d’État et affaires de famille s’entremêlent sans vergogne.
Dans l’ensemble, cette Une est emblématique de l’après-guerre : une société encore sous tension, où la peur de l’agitation ouvrière conduit le pouvoir à chausser les bottes au lieu de distribuer du muguet. Par ses mots et ses images, le Canard rappelle que la fête du travail, loin d’être une célébration consensuelle, reste en 1920 un champ de bataille symbolique entre les aspirations populaires et la crispation de l’ordre établi.