N° 204 du Canard Enchaîné – 26 Mai 1920
N° 204 du Canard Enchaîné – 26 Mai 1920
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Et pourtant, on disait : « C’est un président tout à fait dans le train ». Mais on ne le dira plus
Nouvelle cible pour Le Canard : le président Deschanel. Physiquement, sa tête inspire moins d’inquiétude que celle de Landru. Mentalement, elle vacille davantage. A peine le successeur de Poincaré a-t-il emménagé à l’Élysée que déjà son esprit déménage. Lorsque, tombé du train présidentiel par une nuit de mai 1920, il se présente en pyjama chez le garde-barrière des Mignerettes, un rire énorme secoue l’hexagone. La rate du Canard est la première à s’épanouir : « Et pourtant, on disait : » C’est un président tout à fait dans le train ‘ » (manchette du 26 mai). Un dessin de Guilac publié à la une de l’édition suivante, représente un voyageur de commerce rentrant à l’improviste et trouvant, caché sous le lit conjugal, un homme en pyjama. Assise parmi les draps défaits, l’épouse affecte un air innocent. Le mari « Allons, réponds ! Qui est cet homme ? » La femme : » Mais… je ne sais pas, mon ami… C’est peut-être le président de la République. » Le dessin est intitulé « Présence d’esprit ».
Jean Egen – Messieurs du Canard, p. 55 – Stock –
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L’affaire Deschanel, ce fameux épisode du président tombé du train en pyjama, constitue l’un des moments où Le Canard enchaîné s’impose comme baromètre du ridicule politique. Le 26 mai 1920, soit trois jours après l’accident, l’hebdomadaire satirique consacre sa Une à l’événement avec un titre qui fait mouche : « Mais n’te promène donc pas en pyjama ». Familiarité de bistrot, ironie enfantine, mais efficacité imparable : le prestige présidentiel s’écroule d’un seul coup de bec.
Cet article de Une et de page 2 donne le ton : on ne disserte pas sur les lourdes questions de protocole ou de sécurité ferroviaire, on rit du vêtement de nuit, du pyjama mauve à fleurs blanches, et l’on s’autorise des conseils de mode : mieux vaut la chemise de flanelle ! L’incident est aussitôt tourné en mode d’emploi burlesque pour les Français, à la manière d’une chronique de convenances. Puis, en page 3, le Canard poursuit avec « Le Roman par la portière », où l’enquête journalistique se transforme en feuilleton cocasse : témoins, hypothèses, explications pseudo-sérieuses… tout est passé au filtre de la dérision.
Jean Egen, dans Messieurs du Canard (1974), a bien résumé l’impact de cette chute : « A peine le successeur de Poincaré a-t-il emménagé à l’Élysée que déjà son esprit déménage. » Le journaliste rappelle aussi la manchette du 26 mai : « Et pourtant, on disait : C’est un président tout à fait dans le train ». Ce calembour, typiquement canardesque, illustre la méthode : une plaisanterie banale mais, appliquée à la magistrature suprême, une charge corrosive.
La suite confirmera le potentiel comique de l’affaire : Guilac, dans l’édition suivante, publie un dessin montrant un mari trompé découvrant un inconnu en pyjama sous le lit conjugal. La femme, faussement ingénue, réplique : « Mais… je ne sais pas, mon ami… C’est peut-être le président de la République. » L’image parachève la transformation du chef de l’État en personnage de vaudeville.
Le contexte accentue la force de cette satire. En mai 1920, la France est encore marquée par les séquelles de la guerre, le pays traverse des grèves de cheminots, la misère sociale inquiète. Le président, loin de donner une image de stabilité, devient malgré lui le symbole d’une République fragile, décalée, presque clownesque. L’accident du train ne fut pas seulement une anecdote comique : il a miné la crédibilité de Deschanel et ouvert la voie à sa démission quelques mois plus tard.
Le Canard avait flairé immédiatement le filon. En traitant la mésaventure en comédie, il s’alignait sur le rire national, mais il en fixait aussi les contours : désormais, Paul Deschanel n’était plus qu’« un président en pyjama », figure de dérision promise à la sortie de scène. Et ce rire collectif, relayé par la presse satirique, a sans doute accéléré l’effritement d’un mandat déjà vacillant.
👉 Ainsi, le numéro du 26 mai 1920 illustre parfaitement l’art du Canard : transformer un accident en vaudeville politique, réduire la solennité d’un président à un vêtement de nuit, et faire basculer la République dans l’arène du rire.





