N° 206 du Canard Enchaîné – 9 Juin 1920
N° 206 du Canard Enchaîné – 9 Juin 1920
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Enfin, la vague de baisse se fait sentir aux Halles : Les arrivages commencent à diminuer
Tous en salopette ! La désaffectation des dancings
En juin 1920, Le Canard enchaîné se moque des paniques moralisatrices de la presse conservatrice face aux grèves. Alors que certains journaux crient au scandale en dénonçant des ateliers transformés en dancings, l’hebdo satirique retourne la situation : si l’on danse dans les usines, pourquoi ne pas travailler dans les dancings ? De la “désaffectation” à la “Fête des salopettes”, le Canard croque avec malice l’inversion des rôles sociaux, dans une époque secouée par la vie chère et les grandes grèves ouvrières.
Les journaux à 4 sous, dessin de Guilac
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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L’article du Canard enchaîné du 9 juin 1920 illustre à merveille la veine satirique de l’hebdomadaire, qui aime renverser les perspectives pour mieux exposer les contradictions de son époque. Contexte : la France sort exsangue de la guerre, les grèves de 1919-1920 marquent un tournant dans la lutte ouvrière, et la peur du “désordre social” traverse la bourgeoisie et les journaux conservateurs. Le Figaro, L’Écho de Paris, Le Matin ou encore La Croix s’indignent : sur certains réseaux de chemin de fer, notamment à l’Ouest-État, des ateliers auraient été transformés en dancings par des cheminots syndiqués, troquant l’outil pour le fox-trot et le tango.
Plutôt que de s’indigner, Le Canard choisit la moquerie."La désaffectation des dancings” répond ironiquement à la “désaffectation des ateliers” : si les ouvriers dansent dans les usines, que les élégants du Tout-Paris se retroussent les manches et fassent de leurs lieux de plaisir des ateliers improvisés. Et voilà qu’apparaît la “Fête des Salopettes”, défilé imaginaire où danseurs, mondains et célébrités se piqueraient de fabriquer chaussures, moteurs usagés ou accessoires sanitaires entre deux tangos. Le ridicule change de camp : ceux qui dénonçaient la paresse ouvrière deviennent eux-mêmes de pseudo-travailleurs en costume de soirée.
Cette inversion parodique joue sur plusieurs registres. D’abord, elle met en lumière l’hypocrisie des élites : prompts à accuser les grévistes de paresse, mais totalement étrangers à la réalité du travail manuel. Ensuite, elle détourne la symbolique vestimentaire : la salopette, tenue ouvrière par excellence, devient ici l’uniforme de la mode mondaine, détaillée comme une pièce de haute couture (“décolleté sur le devant”, “col Médicis de vieille dentelle”, etc.). Enfin, la satire vise la presse de droite, toujours prête à accabler le mouvement ouvrier, mais incapable d’en saisir les revendications profondes : la lutte contre la vie chère et l’exploitation.
En filigrane, on retrouve le climat social tendu du printemps 1920 : inflation galopante, grève des cheminots en mai, menace révolutionnaire que d’aucuns redoutaient sur le modèle russe. Face à cela, Le Canard oppose la légèreté de l’ironie : en salopette ou en smoking, chacun au travail ! Un trait satirique qui, tout en déclenchant le rire, pointe l’absurdité des discours dominants sur la “paresse ouvrière”.
Souvent, la satire du Canard ne dit pas seulement “contre quoi” il se bat, mais “comment” il rit du sérieux des puissants. Ici, la danse, symbole de frivolité, devient le miroir où se reflète la gravité de l’ordre social.





