N° 317 du Canard Enchaîné – 26 Juillet 1922
N° 317 du Canard Enchaîné – 26 Juillet 1922
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CONTRE LA PROPAGANDE ESPÉRANTISTE
L’Application du décret de M. Bérard provoque de regrettables méprises
En juillet 1922, la République traque partout le spectre bolchevik et croit trouver dans l’espéranto un dangereux cheval de Troie. Résultat ? Des policiers arrêtent au hasard des passants à « l’allure suspecte », convaincus de déjouer une conspiration linguistique. Dans ses colonnes, Le Canard enchaîné transforme cette bévue en comédie grinçante, où la paranoïa policière se mêle aux relents colonialistes d’une époque qui soupçonne tout étranger d’être un agitateur.
Vacances parlementaires, dessin de Mat – Ses vacances, dessin de Julhès – Petits drames sportifs, Selon que vous serez… dessins de Arsène Brivot – Une bonne affaire, dessin de Angeli
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L’article signé Henri Bécriaux dans Le Canard enchaîné du 26 juillet 1922 illustre à merveille l’art satirique du journal : partir d’un fait absurde pour dévoiler les dérives d’un État en proie à sa propre peur.
Tout part d’un décret de Léon Bérard, ministre de l’Instruction publique, qui interdit l’enseignement et la diffusion de l’espéranto, accusé de faciliter les propagandes internationales et, surtout, bolcheviques. En pleine Europe de l’entre-deux-guerres, l’espéranto n’apparaît pas comme une utopie pacifiste mais comme un outil subversif. Dans ce climat, la police applique le texte avec zèle… et maladresse.
Le récit du Canard bascule dans le burlesque : des agents en civil, persuadés d’intercepter une cellule révolutionnaire, interpellent de paisibles passants, accusés d’« allures louches ». L’un porte un sac, l’autre discute à voix basse, un troisième a la peau noire. Tout est prétexte à suspicion. Le dessin de Guilac accentue la charge : les policiers traînent des hommes noirs au poste, totalement éberlués, rappelant ironiquement la vacuité de l’opération.
Le comique de situation révèle un tragique sous-jacent. Ce n’est pas seulement une blague sur l’imbécillité policière : c’est aussi une critique d’une France coloniale où les étrangers, et en particulier les Noirs, sont systématiquement assimilés à des menaces. L’amalgame entre espérantistes, bolcheviks et « indigènes » en dit long sur les représentations collectives. Le rire devient une arme : il dégonfle la paranoïa sécuritaire et met à nu le racisme implicite des institutions.
Le Canard rappelle enfin que la répression du langage est une absurdité politique. Interdire l’espéranto, langue universelle créée pour faciliter la communication entre peuples, c’est s’enfoncer dans l’isolement et la peur. Mais la République de 1922 préfère voir des conspirateurs partout, quitte à transformer sa police en troupe comique involontaire.
Un siècle plus tard, cette page garde sa force. Elle montre comment la satire saisit le ridicule d’une scène quotidienne pour pointer un malaise plus profond : l’incapacité d’un pouvoir obsédé par la sécurité à comprendre ce qui lui échappe. En transformant une bavure en comédie, le Canard signait l’un de ses plus beaux coups de bec.





