N° 394 du Canard Enchaîné – 16 Janvier 1924
N° 394 du Canard Enchaîné – 16 Janvier 1924
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La loi, on s’en f… ! Ce qu’on veut, c’est l’argent – une aimable et traditionnelle cérémonie : les nouveaux sénateurs visitent la rue des martyrs, on boit du champagne et on évoque des vieux souvenirs bien chers – le retour du maréchal Lyautey au Maroc -l’activité municipale : la décrue de la Seine se poursuit selon le plan établi – la perte du l 24 : monsieur Raiberti juge sévèrement l’amirauté britannique – le problème des réparations : Un don du prince de Galles -Un nouveau ministère : le ministère des lettres – Une étoile qui se lève : M. de Lamarzelle fait ses débuts au Palace, par Pierre Bénard – le problème des réparations : chacun apporte son petit plan à Monsieur Poincaré – le médecin malgré nous ou la baisse du franc : la baisse du franc vient de ce qu’on achète des dollars. Lasteyrie. Monsieur Vénizelos a formé le nouveau cabinet grec – Soignez vos pieds ! Grand seigneur, dessin de Paul Ferjac –
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Quand le Canard se déchaîne sur scène : le faux triomphe du sénateur Lamarzelle
Pierre Bénard croque la politique comme un numéro de music-hall
Sous la plume de Pierre Bénard, Le Canard enchaîné du 16 janvier 1924 transforme un ancien sénateur en vedette de cabaret. Le ton est faussement mondain, la forme imite la chronique de spectacle — mais le fond est une satire féroce de la politique française, devenue spectacle à part entière. Bénard, futur pilier du Canard et maître du burlesque politique, signe ici l’un de ses textes les plus jubilatoires du début des années 1920.
L’article s’ouvre sur une fausse nouvelle : M. de Lamarzelle, “sénateur sortant”, aurait été “engagé par MM. Dufrenne et Varna au Palace”, l’un des hauts lieux du music-hall parisien. Le ton est donné : la politique a quitté le Sénat pour la scène, le parlementaire se reconvertit en amuseur public. La métaphore est cinglante. À l’heure où la Troisième République peine à se relever de la crise financière et morale de l’après-guerre, Bénard montre une classe politique qui, à défaut de gouverner, divertit.
Tout l’art de l’auteur réside dans le pastiche. Il emprunte le vocabulaire et le rythme des rubriques de spectacles, multipliant les détails mondains : “la salle était comble”, “on remarquait M. Jean Cocteau”, “M. Abel Hermant dans la baignoire”. L’effet comique naît de ce décalage : le journaliste mondain, au lieu de commenter un ballet ou une revue, décrit le “numéro” d’un ancien sénateur. En présentant Lamarzelle comme un “nouveau Nijinski”, Bénard moque la vanité d’un monde politique qui se rêve artiste, gracieux et inspiré, mais qui n’a plus rien de sérieux ni de majestueux.
Le récit du “numéro gagnant” pousse la caricature à l’extrême. Sous un “clair de lune”, Lamarzelle apparaît d’abord en habit noir et haut-de-forme, puis finit “complètement nu — seul un cache-sexe laissait quelque mystère autour de sa taille”. La scène tient du vaudeville surréaliste. L’ex-sénateur, littéralement “mis à nu”, devient l’incarnation du politique démasqué : dévêtu de ses discours, de sa dignité, de son rôle public, il n’est plus qu’un corps ridicule offert aux applaudissements. Le Canard fait de la nudité une métaphore du dévoilement : la République, sous ses oripeaux de respectabilité, exhibe en réalité sa vacuité.
La chute du texte parachève la satire. Après son triomphe, Lamarzelle, parfumé et rhabillé, retrouve ses “admirateurs” dans sa loge. On le félicite : “Vous dansez comme une déesse !” Mais il répond, mélancolique : “Hélas ! maintenant je n’ai plus assez de voix.” La phrase, faussement anodine, résume toute la tragédie comique de la classe politique : ceux qui ont perdu leur voix — c’est-à-dire leur autorité morale, leur légitimité — cherchent à reconquérir l’attention autrement, par le geste ou la posture. En 1924, à la veille des élections législatives qui verront triompher le Cartel des gauches, le portrait sonne comme une satire générale du personnel politique finissant, réduit à faire le pitre devant un public blasé.
Pierre Bénard excelle dans cet art du faux reportage, où le sérieux de la forme accentue le ridicule du fond. Son “compte rendu de spectacle” n’est pas seulement une farce : c’est une leçon sur la théâtralité du pouvoir. La politique, déjà, est une scène où les ambitions se dénudent et où les spectateurs rient pour ne pas pleurer. Derrière le music-hall du Palace, c’est toute la comédie républicaine que Bénard met en lumière — brillante, grivoise, mais terriblement vide.
En somme, cette chronique de 1924 résume à merveille le génie satirique du Canard : rire du grotesque pour mieux révéler le tragique. Bénard, encore jeune plume à l’époque, y affine un ton qui deviendra sa marque — une ironie savante, où le rire se teinte de désenchantement.





