N° 422 du Canard Enchaîné – 30 Juillet 1924
N° 422 du Canard Enchaîné – 30 Juillet 1924
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Pour la paix du Monde, de belles manœuvres du désarmement ont lieu en Angleterre
Si tu veux, nous faisons un rêve… par Jules Rivet – L’affaire Matteotti : Une machination contre Mussolini – Carpentier reprend sa plume, dessin de Pol Lefebvre – Une Babylone d’impuretés : de nouveaux scandales ont lieu dans le parc de Versailles – Pour la paix du monde : De belles manœuvres du désarmement ont eu lieu en Angleterre – Un incident à l’Élysée – L’exemple de monsieur Peytral : Nos ministres en contact avec leurs services – Georges de La Fouchardière, « Chronique de l’œil-de-Bouif : Quelques erreurs regrettables » – Le futur boulevard militaire – Supprimons le travail de nuit – Les drames de l’exposition canine : Chien de garde – Monsieur Gaston Chéreau refuse la croix – Pauvre petite poule pâle, par Henri Guilac – Amnistie, dessin de René Dubosc.
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30 juillet 1924 : l’Angleterre en pleine satire — entre manœuvres “pacifistes” et rêves d’empire
Jules Rivet raille la duplicité britannique, miroir ironique des illusions pacifiques d’après-guerre
L’édition du Canard enchaîné du 30 juillet 1924 accorde à l’Angleterre les honneurs d’une double moquerie. Dans deux articles de première page — « Pour la paix du monde : de belles manœuvres du désarmement ont eu lieu en Angleterre » et « Si tu veux, faisons un rêve... », signés tous deux par Jules Rivet, le journal déploie un humour typiquement canardesque, à la fois antimilitariste, ironique et faussement admiratif. Sous couvert de légèreté, Rivet sape deux illusions d’époque : la foi naïve dans le désarmement international et la supposée sagesse britannique, modèle politique du moment.
Depuis le début de 1924, la question du désarmement agite la Société des Nations. Le Premier ministre anglais Ramsay MacDonald, premier travailliste à accéder au pouvoir, tente de relancer les discussions de Genève pour limiter les armements navals et restaurer la paix mondiale. En France, le gouvernement Herriot, tout juste installé après la victoire du Cartel des gauches, affiche un pacifisme prudent, encore lesté du souvenir des tranchées et des réparations allemandes. C’est dans ce contexte que Le Canard enchaîné imagine, à sa manière, la “grande revue du désarmement” organisée par la Royal Navy.
Rivet y décrit un spectacle grandiose où MacDonald, “socialiste”, fait admirer à Herriot le Queen Elizabeth, “un des plus gros engins pacifistes du monde”, capable de tirer des obus de 860 kilos. La formule suffit à révéler la contradiction : c’est au nom de la paix qu’on exhibe les monstres d’acier. L’auteur enchaîne avec une série de fausses notations diplomatiques — “le drapeau britannique, symbole de la démocratie, n’a fait que monter et descendre, représentant ainsi les cours de la livre sterling” —, où chaque image renverse la gravité du discours officiel. Le Canard fait de la satire une arme : en moquant la “conférence de la paix” transformée en parade militaire, il dénonce la vacuité des promesses pacifistes et la persistance d’un impérialisme maquillé en vertu morale.
L’autre article, « Si tu veux, faisons un rêve... », prolonge la charge sur un mode plus littéraire et absurde. À partir d’une anecdote improbable — un certain Mr. Jones qui se serait “tranché la tête avec un rasoir en dormant” — Rivet compose une rêverie grinçante sur le rapport des Anglais au rêve et à la réalité. L’accident devient une métaphore : ceux qui prétendent rêver la paix continuent, en vérité, de se couper la tête avec leurs propres armes. “Les Anglais ont une singulière manière de rêver”, écrit-il, avant d’élargir le propos : ils rêvent “d’acquérir des colonies nouvelles, de créer des détroits pour y installer des canons, de manger du plum-pudding dans la position du dormeur allongé”. Le trait est à la fois drôle et acéré : derrière la caricature d’un peuple flegmatique, Rivet souligne le cynisme de la puissance britannique, qui parle désarmement le jour et fortifie son empire la nuit.
Ces deux textes forment un diptyque mordant sur les illusions du pacifisme d’entre-deux-guerres. En 1924, alors que les nations victorieuses se posent en gardiennes de la paix mondiale, Le Canard enchaîné montre que le désarmement n’est qu’une comédie diplomatique. Les dreadnoughts “pacifistes” défilent comme des symboles creux, et les rêves anglais ne sont que des cauchemars polis.
À travers Rivet, le journal retrouve la verve antimilitariste de ses débuts de guerre : il s’amuse du langage des gouvernements comme il se riait, dix ans plus tôt, des communiqués du Grand Quartier général. La paix de 1924, conclut-il implicitement, n’est pas moins absurde que la guerre de 1914 : elle se rêve avec les mêmes canons et les mêmes illusions — simplement repeints aux couleurs de la diplomatie.
30 juillet 1924, n°422 – Georges de La Fouchardière, « Chronique de l’œil-de-Bouif : Quelques erreurs regrettables »
À l’été 1924, Georges de la Fouchardière fait philosopher son Bouif sur un thème universel : l’erreur. Dans « Quelques erreurs regrettables », l’ivrogne reconnaît ses propres bourdes – compter ses verres de travers, confondre l’aubergiste avec le percepteur, trébucher là où il croyait marcher droit. Mais très vite, ses confessions dérapent et s’élargissent aux gaffes bien plus coûteuses des gouvernants et des notables.
La mécanique satirique repose sur ce glissement : les maladresses du pilier de bistrot deviennent miroir grossissant des erreurs politiques. Là où le Bouif se trompe d’adresse, les ministres se trompent de cap ; là où il casse une bouteille, les dirigeants brisent des vies. Le comique naît de cette comparaison improbable, qui finit par sembler plus juste que les analyses sérieuses.
En jouant sur l’aveu d’imperfection, de la Fouchardière donne à son personnage une dimension humaine qui le rapproche du lecteur. Mais il en fait aussi une arme critique : si l’on rit des erreurs du Bouif, on s’indigne de celles, autrement plus graves, des puissants.
Avec cette chronique, Le Canard enchaîné poursuit son entreprise de démystification. Derrière le rire titubant de Bicard, une leçon : il y a des erreurs que l’on pardonne au comptoir, et d’autres, venues d’en haut, qui ne devraient jamais passer pour de simples « regrets ».