N° 432 du Canard Enchaîné – 8 Octobre 1924
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La lutte contre la vie chère bat son plein, on en est déjà à Charleroi… Mystérieuse affaire : Un départ pour Biribi – Il y a stand pour tout : visite au salon de l’automobile, l’exposition obtient un succès écrasant – Seul monsieur Citroën va un peu Ford, par Whip – Les fêtes à souhaiter : Saint Édouard Herriot – L’utilisation du papier imprimé : Une interdiction dangereuse pour la presse – Le voyage de M Doumergue : Brandade ou saumon ? Le Conseil de cabinet prend une importante décision – À titre de publicité par G. de La Fouchardière – lacune a combler : il nous faut des mots historiques – L’honneur du canonnier- L’accident de chemin de fer de Mayence – Propos synthétiques : la verduresse lampante – Les villes martyres – Pour la désinfection à domicile : Eau et mêlé-cass à tous les étages – Henri, rendez l’argent ! Au profit des anciens députés : Une belle fête aura lieu au stade Buffalo – Par TSF : concert d’animaux – Les contes du canard : Évolution par Victor Snell – Les maisons des provinces de France – L’extension du permis de conduire
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8 octobre 1924 : au Salon de l’automobile, Whip fait vrombir la satire
Un article enlevé où l’essor de la voiture devient le miroir comique de la société des années 1920
À la une du Canard enchaîné du 8 octobre 1924, le dessinateur et chroniqueur Whip (pseudonyme de Géo Friley) signe une page d’une réjouissante modernité : « Visite au Salon de l’Automobile », satire du progrès mécanique et de la bêtise commerciale à l’âge du moteur triomphant. Derrière la plaisanterie sur les “stands” et les “modèles dernier cri” se lit une critique ironique du monde qui s’invente dans ces années folles : celui de la vitesse, de la consommation, et de la publicité tapageuse.
Le Salon de l’Automobile de 1924, installé au Grand Palais, est alors un événement majeur. La France sort lentement de la crise de l’après-guerre et l’automobile est devenue un symbole de prospérité retrouvée — ou du moins d’aspiration au confort moderne. Les marques rivalisent d’innovations et d’esbroufe : Citroën inonde Paris de panneaux lumineux, Ford envahit l’Europe, Renault se démocratise, et chaque constructeur promet la “voiture de demain”. C’est précisément ce grand cirque du progrès que Whip va croquer avec son humour pince-sans-rire.
Le ton est donné dès la première phrase : “Il faudrait vraiment n’avoir pas cinq francs-papier devant soi pour ne pas refuser la séance de massage qu’offre à la masse de ses visiteurs le Salon de l’Auto.” Le jeu de mots sur “massage” (au sens littéral et social) installe le thème de la satire : le progrès industriel comme comédie de la vanité. À travers une fausse promenade de stand en stand, le chroniqueur se moque des vendeurs, des ingénieurs, des clients crédules et du jargon technique, transformant le Salon en un immense théâtre d’absurdités mécaniques.
Chaque “stand” incarne une caricature du progrès. Chez Citroën, le journaliste dialogue en anglais approximatif ; chez Mashishoëtt (allusion à la marque américaine Nash Motors), les innovations “aérodynamiques” sont vantées avec un vocabulaire grotesque ; chez Bigoudi, on vante la “boîte de vitesse” comme une pièce d’orfèvrerie. Tout y est faux, creux, gonflé de mots savants et de promesses ridicules. La scène évoque à la fois la foire de Montmartre et les salons mondains, où le snobisme remplace l’intelligence.
Mais derrière le gag, Whip dresse un portrait mordant de la société moderne : une foule fascinée par la technique, qui s’extasie devant la tôle et le vernis comme autrefois devant les reliques. Les “stands” deviennent les autels d’un culte nouveau, celui de la machine. Même la mort y trouve sa place : le “Stand Nécropole” propose “la voiture de demain, la torpedo populaire”. Dans cette trouvaille d’un humour noir, on sent la méfiance du Canard face à l’industrialisation galopante — la voiture comme cercueil social, promesse d’émancipation qui mène droit au chaos de la circulation moderne.
Le dessin de Whip, en bas de page, parachève la satire : une collision burlesque entre automobilistes paniqués, légendée “Dire qu’il y a des gens qui vont au Salon pour voir des autos !” La chute résume toute la page : l’automobile n’est plus un moyen, mais un spectacle ; le progrès n’a plus de but, il tourne en rond dans son propre vacarme.
En 1924, le Canard enchaîné saisit mieux que quiconque ce que l’automobile représente pour la France d’après-guerre : une promesse de liberté aussitôt confisquée par la publicité et le commerce. Whip, derrière ses plaisanteries mécaniques, en tire une conclusion cruellement lucide : à force d’admirer les machines, l’homme moderne a fini par se faire conduire — au propre comme au figuré.