N° 446 du Canard Enchaîné – 14 Janvier 1925
N° 446 du Canard Enchaîné – 14 Janvier 1925
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Zim boum badaboum ! Rantanplan ! La grande tournée Alexandre Millerand a commencé son tour de France
En janvier 1925, Alexandre Millerand se rêve en chef de cirque. À peine déchu de l’Élysée, le voilà reparti sur les routes, tambour battant, pour reconquérir la France sous la bannière de sa Ligue nationale. Dans Le Canard enchaîné du 14 janvier, Pierre Bénard transforme cette tournée de propagande en parade d’animaux et de bonimenteurs : éléphants patriotiques, clowns réactionnaires et musiciens de la droite en goguette. Sous les rires, une inquiétude : celle d’une France où la politique se donne en spectacle, et où les anciens présidents descendent dans l’arène pour vendre l’ordre et la peur.
Commerce de luxe, dessin de Charles Boirau –
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Sous le titre tonitruant « Zim boum badaboum ! Rantanplan ! La grande tournée Alexandre Millerand a commencé son tour de France », le Canard enchaîné du 14 janvier 1925 salue à sa manière la « grande tournée » d’Alexandre Millerand, ancien président de la République, désormais reconverti en bateleur politique. L’article, signé Pierre Bénard, relate avec un humour féroce la première étape de cette tournée à Rouen, au profit de la Ligue républicaine nationale. Ce « tour de France » est présenté comme un spectacle ambulant : un cirque réactionnaire où la politique devient foire, et où l’ancien chef de l’État, flanqué de ses fidèles, se donne en représentation.
Le dessin de Guilac, au centre de la page, achève de transformer la scène en parade grotesque : Millerand trônant sur un éléphant, entouré d’acrobates, de musiciens et de clowns coiffés des sigles de ligues nationalistes — L.N.R., U.I.E.. La satire est limpide : l’ancien président, battu par le suffrage universel en 1924, tente de reconquérir la rue à grand renfort de mise en scène et de démagogie.
Le contexte historique explique cette fébrilité. Chassé de l’Élysée après la victoire du Cartel des gauches, Millerand refuse de disparaître. Il fonde, dès novembre 1924, la Ligue nationale, regroupant les déçus du parlementarisme, les patriotes de la droite dure et les notables effrayés par la crise du franc. Son but : recréer une « union nationale » capable de renverser Herriot. Bénard, lui, voit surtout dans cette croisade une tournée d’illusionniste — la caricature vivante d’un pouvoir qui, ayant perdu les urnes, cherche à reconquérir les foules par le spectacle.
L’article suit le déroulé d’un meeting fictif à Rouen, décrit comme une véritable représentation foraine : l’arrivée du convoi, la tente montée, la répétition des artistes. Les « numéros » sont attribués à des figures politiques bien réelles : François Poncet, Camille Aymard, Louis Marin, André Lefèvre… Chacun y tient son rôle de clown, d’acrobate ou de dompteur, répétant les refrains du patriotisme et de la peur rouge. L’un manie la rhétorique guerrière, l’autre le sabre ou la blague martiale. À l’intérieur, écrit Bénard, on entend des bruits d’orchestre et des cris de fanfare : « C’est la troupe qui répète ! »
L’ironie repose sur la ressemblance entre la propagande politique et la mise en scène commerciale. En travestissant le meeting en cirque, Bénard montre comment la droite recycle les ficelles du spectacle populaire : fanfares, bannières, slogans et « grands numéros » d’éloquence. Le lecteur rit, mais sent poindre l’inquiétude : ce cirque-là préfigure, dans une France troublée, les futures mobilisations de masse des années trente.
Enfin, la chute ramène la satire à sa cible : le ridicule du vieil homme qui refuse de quitter la piste. Millerand, écrit Bénard, « toujours infatigable », se prend à rêver d’un retour triomphal, mais n’obtient qu’un « succès de curiosité ». C’est la formule la plus cruelle de tout l’article : derrière les tambours et les éléphants, Le Canard voit un ancien président devenu bonimenteur, réduit à vendre l’ordre comme un saltimbanque vend son numéro.
Cette page du 14 janvier 1925 résume à elle seule l’art de la satire politique d’entre-deux-guerres : une farce au scalpel, où le rire dégonfle la prétention des puissants. Millerand voulait un « tour de France » : Le Canard enchaîné en fait un tour de piste.