N° 522 du Canard Enchaîné – 30 Juin 1926
N° 522 du Canard Enchaîné – 30 Juin 1926
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C’est trop !
Le 30 juin 1926, Le Canard enchaîné publie un bijou d’ironie signé René Virard, accompagné d’un dessin de Guilac : un Américain jovial, cigare au bec, perché sur un aigle, tend une feuille couverte de chiffres au public français. Sous le titre C’est trop !, le journal raille la “générosité” des États-Unis, dont les monuments commémoratifs deviennent symboles de dette plutôt que d’amitié. À l’heure où le franc s’effondre et où Poincaré revient sauver la monnaie, Le Canard répond à la diplomatie du marbre par une leçon de satire : derrière le souvenir, la soumission économique.
Sylvie chez son curé, dessin de Louis Bonnotte –
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Le billet de René Virard, C’est trop !, paru à la une du Canard enchaîné du 30 juin 1926, est une miniature d’ironie politique, redoublée par le dessin de Guilac. Sous prétexte de remercier les États-Unis pour leurs “trop nombreux” monuments d’amitié, le Canard transforme la commémoration franco-américaine en caricature d’une dette éternelle.
Le monument réel de Saint-Nazaire, inauguré quatre jours plus tôt, célébrait l’arrivée des troupes américaines en 1917. Sur la pierre, un Sammy héroïque tendait son épée à un poilu français : la fraternité d’armes scellée dans le bronze. Guilac inverse tout. Son Américain, campé en haut d’une colonne, arbore un cigare et un large sourire d’homme d’affaires. Dans sa main, non plus une épée, mais une feuille remplie de chiffres — le symbole transparent des créances américaines sur la France. Au pied de la colonne, quelques notables lèvent la tête, figés dans une admiration servile. Le dessin, accompagné d’une légende absurde (“Ce monument qui symbolise les sentiments de l’Amérique envers la République sœur…”), fait basculer la “reconnaissance éternelle” dans le ridicule comptable.
Le texte de Virard, en apparence courtois, suit la même logique. Il remercie d’abord les “amis américains” pour leur générosité sans bornes : “Après nous avoir donné un tableau, une croix de fer, un pont, ils nous offrent encore un monument commémoratif !” Puis la courtoisie s’effrite. L’auteur parle d’un “cadeau de trop”, d’une “pierre de plus au fardeau”, avant d’ajouter, faussement attendri : “Beaucoup trop à ajouter à la petite cour.” Ce trop devient le fil conducteur de la satire : trop de reconnaissance, trop de symboles, trop d’argent emprunté. À travers cette accumulation, Le Canard dénonce une dépendance : celle d’une France croulant sous les marques de gratitude et sous la dette de guerre.
Le contexte renforce la charge : au printemps 1926, la crise du franc bat son plein, le gouvernement Herriot est tombé, et Poincaré est rappelé pour sauver la monnaie. L’Amérique, créancière de l’Europe, impose ses conditions financières. En se moquant des monuments “offerts” par les États-Unis, Virard et Guilac tournent en dérision la diplomatie de façade qui dissimule une réalité d’asservissement économique. La feuille de chiffres brandie par l’Américain résume à elle seule cette vérité : les “cadeaux” américains ne sont pas des présents, mais des rappels de dette.
La satire, typiquement canardesque, joue sur la connivence du lecteur. Tout est feint : la gratitude, l’émotion, la solennité. Le ton léger masque une ironie corrosive : ce trop-plein de monuments commémoratifs illustre l’impuissance d’une République qui se réfugie dans la pierre pour masquer ses faiblesses.
Ainsi, derrière la plaisanterie, Le Canard enchaîné livre une leçon de lucidité politique. Tandis que la presse officielle s’émerveille des “cadeaux de l’Amérique reconnaissante”, Virard répond : merci bien, mais cela suffit. Guilac, lui, signe une image inoubliable — un Américain perché sur son aigle, non plus messager de liberté, mais représentant de commerce venu présenter la facture.





