N° 549 du Canard Enchaîné – 5 Janvier 1927
N° 549 du Canard Enchaîné – 5 Janvier 1927
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M. Pierre Laval acceptera aussi les voix de gauche
En janvier 1927, Le Canard enchaîné croque un certain Pierre Laval, encore loin d’être le sinistre personnage de l’Histoire. Sous le titre « M. Pierre Laval acceptera aussi les voix de gauche », le journal raille avec une verve réjouissante l’opportunisme du député-maire d’Aubervilliers, qui se dit à la fois « socialiste indépendant », « républicain » et même, selon l’humeur, « pour l’archevêché ». Derrière l’ironie, un portrait déjà prophétique : celui d’un homme sans boussole idéologique, prêt à toutes les alliances pour avancer. En 1927 déjà, Le Canard flairait le futur caméléon politique de la République.
Ironie du sort, dessin de Pedro
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L’article du Canard enchaîné du 5 janvier 1927, sobrement titré « M. Pierre Laval acceptera aussi les voix de gauche », offre un instantané savoureux de la vie politique sous la Troisième République. Non signé, il porte la marque d’un de ces reporters satiriques du journal — sans doute Jules Rivet ou Pierre Bénard — dont la plume savait saisir en quelques lignes l’essence d’un personnage public. Et ici, la cible est de taille : Pierre Laval, alors jeune député-maire d’Aubervilliers, déjà en pleine ascension.
À cette date, Laval n’est pas encore la figure tragiquement célèbre qu’il deviendra. Ancien militant socialiste, passé brièvement par la SFIO avant de s’en détacher, il se définit alors comme un « socialiste indépendant », ce qui, dans le langage politique de l’époque, équivaut à dire : disponible pour toute coalition. L’article, publié au moment des élections sénatoriales dans la Seine, tourne en dérision cette posture de neutralité opportuniste. Laval s’y dit « indépendant », mais aussi « républicain », « démocrate » et — suprême volte-face — « pour l’archevêché », selon ses interlocuteurs. Le Canard s’en amuse : “Nul n’est plus respectueux du suffrage universel. Si dans sa clientèle il y a des communistes, c’est avec les mêmes indépendants qu’il reviendra à l’église !”
L’entretien fictif, ou du moins habilement reconstruit, met en scène un Laval volubile, passant sans transition de l’humour de comptoir à la dévotion politique. « Que diable ! Je n’ai pas toujours été chez Billiet ! J’ai été socialiste minoritaire, moi ! Presque Kienthalien ! J’ai été comme cochons avec Brizon et Rafin-Dugens ! » (Kienthalien désignant ici les pacifistes de la conférence de Kienthal, en 1916). En quelques phrases, Le Canard résume son parcours sinueux : du socialisme antimilitariste de guerre à l’alliance centriste, voire cléricale, de l’après-1924. Le tout sans jamais renoncer à l’image du “démocrate sincère”.
C’est là tout le génie de la satire : derrière la légèreté apparente, le portrait est d’une lucidité implacable. Le lecteur de 1927 y reconnaît un type familier : celui du politicien caméléon, passé maître dans l’art d’accommoder ses convictions au gré des majorités. Laval s’y peint lui-même, presque malgré lui, en citant ce mot qui sonne comme un aveu : « Je suis pour l’archevêché. Nul n’est plus respectueux du suffrage universel. » La contradiction est totale, et c’est ce contraste que Le Canard exploite avec gourmandise.
Le ton de l’article alterne entre pastiche d’interview et comédie de mœurs : Laval est surpris « dans l’escalier de l’Union des Intérêts économiques » — une adresse qui en dit long — alors qu’il “saute dans un taxi pour répondre à une convocation du cardinal Dubois”. Tout est dit : entre les milieux d’affaires et les bénédictions ecclésiastiques, le futur chef du gouvernement de Vichy s’entraîne déjà à l’équilibrisme.
Dans la France de 1927, la satire du Canard reste avant tout celle d’un système. Le journal raille moins Laval pour ses opinions que pour ce qu’il incarne : la fluidité morale d’une classe politique où l’idéologie est affaire de circonstances. L’ironie finale, sur “le marchand de salade qui offre de la laitue à ceux qui veulent de la scarole”, traduit à merveille la philosophie du futur président du Conseil : tout pour plaire, tout pour durer.
En 1927, Le Canard enchaîné rit encore de Pierre Laval. Mais l’histoire, hélas, montrera que ce rire avait des accents de préscience.





