N° 577 du Canard Enchaîné – 20 Juillet 1927
N° 577 du Canard Enchaîné – 20 Juillet 1927
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Les découpeurs en vacances
Le 20 juillet 1927, Le Canard enchaîné publie en une un article de Drégerin intitulé « Les découpeurs en vacances ». Sous ce titre badin, le journal se moque du redécoupage électoral mené par la sous-commission Payra, censé “moderniser” la carte politique française. En réalité, écrit le Canard, les députés se sont surtout offert une tournée d’été aux frais de la République, entre vermouth-cassis et “reconnaissance individuelle des circonscriptions”. Drégerin croque une République qui redessine ses cantons à coups de petits arrangements, de clientélisme et de pique-niques électoraux. Un voyage parlementaire où la géographie se plie au gré des ambitions.
Vacances, projet de frontispice pour la gare Saint-Lazare – par Pedro – On va le traverser, scrongneugneu, Pourtant simple, dessins de Dubosc – Suzanne Lenglen en Écosse, dessin de Guilac –
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L’été 1927 est celui des “découpeurs”. Dans Le Canard enchaîné du 20 juillet, l’article signé Drégerin offre un morceau de satire administrative d’une précision réjouissante. Intitulé « Les découpeurs en vacances », le texte s’attaque au redécoupage électoral entrepris cette année-là par la “sous-commission Payra”, chargée de redéfinir les circonscriptions à la suite de la réforme du scrutin. Une mission en apparence technique, mais que Le Canard transforme en comédie d’été.
L’article s’ouvre sur un ton faussement administratif : “Après le découpage des arrondissements […] la réforme électorale est entrée dans une seconde phase : celle de la reconnaissance individuelle des circonscriptions.” Le style de rapport officiel, immédiatement contredit par les images cocasses qui suivent, installe la mécanique satirique. Derrière les mots de la bureaucratie se cache une tournée champêtre des députés, occupés à “reconnaître” leurs nouvelles terres électorales — c’est-à-dire à faire campagne sous prétexte de géographie.
Drégerin s’en donne à cœur joie : “Précédés d’arpenteurs du cadastre, ils ont vite fait de déterminer définitivement où s’arrêteront exactement les vaillantes populations de Gonfle-Boufigue et de Gonfaron-sur-Zona.” Le ton est burlesque : l’administration devient un théâtre où la solennité se dégonfle sous l’effet du ridicule. La “reconnaissance” des cantons prend l’allure d’une équipée gastronomique : on y boit du “vermouth-cassis”, on se chamaille autour des bornes communales, on “se fait rincer par tout le monde”.
L’humour cartographique culmine avec les deux dessins accompagnant l’article : une carte de la Gironde, aux frontières pointillées représentant les échanges de cantons “d’un arrondissement à l’autre”, et une vignette montrant de “superbes travaux exécutés dans la Gironde afin de permettre aux électeurs républicains du canton de Castelnau de communiquer avec l’arrondissement de Lesparre.” Cette légende, faussement technique, résume à elle seule la dérision du Canard : sous couvert d’aménagement du territoire, c’est l’ingénierie électorale qui s’exprime, à coups de ponts imaginaires et de clientélisme bien réel.
Drégerin égratigne tout le monde : les radicaux, les “cartellistes”, les “unionistes” — mais surtout le système parlementaire qui, au lieu de servir la démocratie, réorganise le pays pour préserver ses sièges. “Deux des sortants se représenteront contre leurs collègues”, note-t-il en feignant l’étonnement. Quant aux populations, elles ne sont mentionnées qu’en toile de fond : “Les vaillantes populations de Gonfle-Boufigue” deviennent un pur décor dans le vaudeville des élus.
Cette satire du redécoupage s’inscrit dans une tradition du Canard enchaîné : dénoncer les petits arrangements électoraux sous les apparences de la bonne administration. Depuis sa fondation en 1915, le journal ridiculise la comédie parlementaire — non pas en la dénonçant frontalement, mais en l’exagérant jusqu’à l’absurde. Ici, la “sous-commission Payra” devient une bande de géographes en goguette, et le cadastre, un alibi pour l’ivresse civique.
En 1927, la Troisième République prépare déjà les élections législatives de 1928, qui verront le retour du scrutin uninominal. Derrière le sourire de Drégerin, c’est donc une critique politique sérieuse qui perce : celle d’un pouvoir qui “reconnaît” son territoire en le découpant selon ses intérêts.
Sous le soleil d’été, la République cartographie ses privilèges. Le Canard enchaîné, lui, trace à l’encre noire la carte de son ironie.





