Le Canard enchaîné du 7 septembre 1927 offre en page 3 un fascinant patchwork d’informations, reflet de l’art du journal à conjuguer ironie et actualité internationale. Quatre brèves se succèdent, sans lien apparent, mais unies par la même tonalité : le scepticisme lucide d’un hebdomadaire qui ne se laisse jamais prendre au sérieux des puissants.
“La situation en Chine”, dépêche pseudo-sérieuse venue de Shanghai. On y lit que le général Sun Chuanfang, “que l’on croyait passé aux Sudistes”, rejoint désormais “l’aile gauche du Kuomintang, mais pas tout à fait l’extrême gauche, celle un peu au centre”. La phrase résume à merveille la confusion de la guerre civile chinoise — et l’ironie du Canard devant les commentaires occidentaux qui n’y comprennent goutte. En 1927, la Chine est en pleine tourmente : l’alliance entre nationalistes et communistes se brise, Tchang Kaï-chek s’impose à Nankin, et la presse européenne, déboussolée, multiplie les analyses contradictoires. Le Canard s’en amuse, en feignant d’y voir clair grâce à des formules absurdes : “Les Nordistes occupent le reste, plus en bas, mais sans trop appuyer dans les angles.”
La seconde brève, “L’ambassadeur du Vatican ne sera pas rappelé”, revient à Paris et à la diplomatie. Après la signature par l’ambassadeur soviétique Rakovsky d’un manifeste révolutionnaire, la rumeur prêtait au gouvernement français l’intention d’expulser aussi le nonce apostolique. Le Canard dégonfle aussitôt la nouvelle : “Renseignements pris, il n’en est rien.” En quelques lignes, le journal rappelle que la République, même laïque, sait composer avec Rome quand la stabilité politique l’exige. Sous la plaisanterie se cache un commentaire plus fin : les tensions idéologiques s’atténuent quand la prudence diplomatique reprend le dessus.
Suit “Les élections turques”, datée de Constantinople. Tous les candidats “kémalistes” sont élus au Parlement d’Angora, “et il n’existera aucune opposition officielle dans la nouvelle assemblée.” Le ton pince-sans-rire transforme une dictature naissante en farce électorale. Le Canard saisit ici la dimension autoritaire du régime de Mustafa Kemal, tout en ironisant : “Le ministre de l’Intérieur a abaissé à 65 % le chiffre des pendaisons d’usage.” Une blague noire, typique du journal, qui dit tout de la brutalité du pouvoir turc sous couvert d’un humour sec.
Enfin, la page s’achève sur Deauville : station mondaine s’associant à une “cérémonie de réparation nationale”. On y retrouve Mistinguett, l’Agha Khan, le peintre Foujita et le ministre Henry Chéron, tous “profondément recueillis” à l’Arc de Triomphe avant de rallumer la partie de baccarat. L’événement, pompeusement décrit par la grande presse, devient chez Le Canard un carnaval patriotique où la mondanité efface la mémoire de la guerre.
Entre satire politique, ironie diplomatique et pastiche journalistique, cette page concentre l’essence du Canard enchaîné des années 1920 : un miroir du monde où la gravité passe toujours par le rire.