Avec son Méthode pour prendre des Boches, Pierre Meudon illustre à merveille l’art du Canard enchaîné : démonter la propagande en jouant sur la logique comptable, poussée jusqu’au ridicule. L’article part d’un raisonnement très sérieux en apparence : la capture de six mille prisonniers allemands aurait coûté plusieurs millions, en hommes, en matériel et en temps. Pourquoi, dès lors, ne pas chercher un moyen plus « économique » ?

C’est là que la verve satirique éclate. Meudon imagine une solution radicale : offrir aux soldats ennemis des bons… pour deux livres de saucisses. À raison de trente-trois francs et des poussières par tête, l’affaire reviendrait bien moins cher que la moindre offensive. De quoi séduire l’adversaire sans tirer un coup de canon. L’hypothèse est absurde, mais elle met en lumière l’absurdité des coûts humains et financiers de la guerre, que la presse bourgeoise se garde bien de détailler.

En quelques paragraphes, l’auteur ridiculise à la fois la propagande officielle — qui vante des « victoires » à prix d’or — et l’obsession budgétaire de l’État-major, en ramenant tout à une affaire de charcuterie. La satire mord d’autant plus fort qu’elle s’appuie sur des chiffres précis, calculés comme une véritable démonstration économique. Ce procédé, typique du Canard de guerre, montre que l’humour et la dérision sont des armes plus efficaces que les communiqués.

Ici, l’arithmétique devient un acte de résistance : si la victoire devait se mesurer au nombre de saucisses promises, la paix aurait été conclue depuis longtemps.