Publié le 24 octobre 1928, cet article signé Drégerin prolonge la série de charges satiriques lancées par le journal contre la “rentrée triomphale des congrégations”. Après Pierre Scize la semaine précédente, c’est au tour de Drégerin de livrer un morceau d’anthologie d’ironie anticléricale : “Une statue officielle à Ignace de Loyola.”
Le titre annonce le ton. Dans la France de la fin des années 1920, où la droite parlementaire et les catholiques s’efforcent de réhabiliter les ordres religieux bannis au début du siècle, Le Canard imagine la consécration suprême : l’érection d’une statue du fondateur des Jésuites — ces “soldats de Dieu” longtemps honnis par les républicains — en hommage officiel, avec bénédiction gouvernementale et discours laïque d’Édouard Herriot. L’absurde est total, mais la satire vise juste.
Le texte s’ouvre sur un constat moqueur : les “misérables difficultés soulevées par les articles 70 et 71” sur la réintégration des congrégations auraient dû, selon Drégerin, inciter à la prudence. Or, au contraire, on va plus loin : on célèbre Loyola ! Le ton pseudo-officiel du Canard mime à la perfection le style des communiqués gouvernementaux, multipliant les hyperboles : “La cérémonie officielle qui s’impose”, “la petite fête immédiatement réglée”. Le vocabulaire de la dévotion et celui de la bureaucratie se confondent, produisant un effet comique irrésistible.
Au centre du texte, la figure d’Édouard Herriot devient un personnage de comédie. Ancien président du Conseil radical-socialiste, républicain laïque, il est ici tourné en ridicule comme faux héraut de la séparation de l’Église et de l’État. Drégerin lui prête un discours d’une hypocrisie achevée, où il “revendique l’honneur” de présider à l’inauguration, tout en feignant l’indignation morale : “Pour ma part, s’exclamera-t-il, je n’ai pas voulu ça ! Autant dire que je n’y suis pour rien !” Le Canard excelle à faire parler les puissants dans une langue qui les confond : ce double discours, entre morale et opportunisme, résume à lui seul la duplicité d’une République fatiguée, qui pactise avec les forces qu’elle avait jadis combattues.
L’article se clôt par une description carnavalesque de la “grande journée de Réconciliation nationale” : messes, séminaristes en soutanes, distribution de scapulaires, prières “pour les places du Purgatoire”... On croirait lire le programme d’une procession surréaliste. Le dessin de Guilac, montrant un Loyola en plâtre sur son piédestal, parachève le ridicule : le saint, penché et boudeur, symbolise un catholicisme de carton-pâte, remis en scène par une République qui n’y croit plus mais s’y soumet encore.
Sous le rire, la charge est redoutable. En 1928, la laïcité républicaine issue des lois Combes et Briand (1901-1905) vacille. Le gouvernement Poincaré, au nom de “l’union nationale”, cherche l’apaisement religieux et rétablit certaines libertés pour les congrégations. Le Canard enchaîné s’indigne de ce retour en arrière, y voyant une revanche du cléricalisme sur l’esprit de laïcité, et une trahison de l’héritage radical. D’où ce texte, où la satire prend des airs de contre-cérémonie : une antimesse républicaine célébrée dans les colonnes du Canard.
Avec “Une statue officielle à Ignace de Loyola”, Drégerin érige un monument à la dérision — celui d’une France où l’on rebaptise les symboles pour mieux oublier leurs combats. Là où d’autres inaugurent des statues, Le Canard dresse des mirages, et les fait exploser à coups de rire.