L’évacuation de la Rhénanie, commencée le 16 septembre 1929, marque un tournant symbolique de l’entre-deux-guerres. En application anticipée du plan Young, les forces alliées — britanniques, françaises et belges — se retirent des territoires allemands occupés depuis 1919. Pour les diplomates, c’est le triomphe de la conciliation franco-allemande. Pour Le Canard enchaîné, c’est surtout une occasion rêvée de piquer la baudruche des célébrations officielles.
Une comédie des adieux
Sous le titre « L’évacuation de la Rhénanie a commencé », l’article se lit comme un reportage ironique envoyé depuis Cologne, où “la cordialité la plus déchirante s’est manifestée”.
Le ton est faussement attendri :
“Les chers petits soldats anglais n’avaient pas tardé à retrouver en Rhénanie le goût de parler.”
Suit une série de scènes cocasses décrivant la séparation larmoyante des soldats et de leurs hôtesses allemandes : “Ich liebe John... Tommy, mon Schatz... Mina, I love you.” Tout y passe — les flirts, les couronnes, les toasts partagés “à la fraternité débordante”.
Mais sous cette tendresse pastichée se glisse la satire : le Canard n’évoque pas une réconciliation des peuples, mais une idylle de garnison où la “paix du Droit” se termine dans le cabaret et la bière.
L’humour pour dégonfler l’émotion politique
Le dessin de Guilac, en pleine largeur, complète cette charge : soldats anglais au pas, Gretchen en pleurs, chiens et chevaux tout émus — une caricature collective de la sentimentalité diplomatique.
L’article détourne même le lexique de la presse officielle : “Un émouvant défilé a eu lieu dans les rues de Cologne... La musique anglaise jouant It’s a long way to Tipperary.”
En parodiant le ton des dépêches d’agences, Le Canard souligne le décalage entre la gravité du geste historique — la fin de dix années d’occupation — et la légèreté presque grotesque de la mise en scène.
Derrière la parodie, une méfiance perce : la paix de 1929 paraît trop belle, trop théâtrale pour être durable.
Une Europe qui se croit réconciliée
L’année 1929 est celle de l’euphorie pacifiste. Aristide Briand vient de prononcer à Genève son discours sur la “fédération européenne”. L’Allemagne, sous Stresemann, multiplie les gestes d’apaisement. Et la presse française, dans son ensemble, salue la fin d’une “injustice du traité de Versailles”.
Mais le Canard ne se laisse pas attendrir : tout en célébrant le départ des troupes, il devine le vernis fragile de cette entente cordiale.
Le ton du journal est à la fois moqueur et lucide. Derrière l’anecdote sentimentale, il pointe la naïveté des discours sur la “réconciliation des peuples”, réduite ici à des échanges de “Dieu bénisse l’Angleterre” contre “Forget me not”.
La paix, semble dire le Canard, se confond avec le commerce des bons sentiments — et des bonnes bières.
Le style “Canard” au sommet de sa verve
Ce texte illustre à la perfection la manière du Canard enchaîné de la fin des années 1920 : un mélange d’ironie feutrée et de satire burlesque, où le rire désamorce les certitudes officielles.
La chute, faussement légère, confirme cette posture :
“Car pour ce qui est de la guerre, et surtout de la paix, bien entendu, on aurait dû commencer par là : nous déclare un haut magistrat municipal.”
Un humour en spirale, où l’ironie redouble d’ironie, laissant le lecteur aussi amusé que perplexe.
La paix vue depuis la Mare
En septembre 1929, Le Canard nage à contre-courant d’une opinion publique pacifiée et confiante. Tandis que les gouvernements parlent d’un nouvel “esprit européen”, il rappelle par le rire que les peuples, eux, demeurent les figurants d’une pièce écrite ailleurs.
Sous ses airs de reportage attendri, cette chronique sur l’évacuation de la Rhénanie est donc bien plus qu’une plaisanterie : c’est une leçon de méfiance face aux enthousiasmes officiels.
Le Canard enchaîné de septembre 1929 salue la paix comme on salue un régiment qui s’en va : en riant. Entre flirts, fanfares et farces diplomatiques, il rappelle que l’Europe, en se quittant en larmes, n’en a pas fini avec ses adieux.