N° 706 du Canard Enchaîné – 8 Janvier 1930
N° 706 du Canard Enchaîné – 8 Janvier 1930
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8 janvier 1930 — Mme Esmeralda voit trouble
Quand Roger Salardenne consultait les astres du Canard
Sous la plume de Roger Salardenne, la célèbre « Mme Esmeralda » prédit une année 1930 pleine de crises, de ministres malades et de tramways de luxe. Derrière la boule de cristal, Le Canard enchaîné dresse un portrait cocasse de la France de Tardieu, entre inflation, scandales et voyance de bazar. Une satire d’autant plus clairvoyante qu’elle annonce, sans le dire, l’entrée du pays dans la décennie des désillusions.
Un as, dessin de Pruvost.
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Prédictions pour 1930
À la une du Canard enchaîné du 8 janvier 1930, Roger Salardenne se prête à un rituel devenu tradition : les « prédictions » de Mme Esmeralda, voyante imaginaire de la rue d’Aboukir. Derrière la parodie divinatoire, l’article offre un condensé d’ironie politique et sociale sur les maux de la France de l’entre-deux-guerres. Chaque “révélation” est une satire de l’actualité immédiate, où les astres se mêlent aux travers humains.
Dès les premières lignes, le ton est donné : 1930 sera « une année très mouvementée », « de douze mois exactement », plaisante Mme Esmeralda, manière de rappeler qu’en matière de boule de cristal, les évidences font souvent office de prophéties. Salardenne joue sur ce comique de l’absurde pour brocarder les grands noms du moment : André Tardieu, le président du Conseil, que la voyante voit promis à « des crises ministérielles, des difficultés financières et des complications diplomatiques » — autant dire la routine gouvernementale de la Troisième République. La prédiction n’a rien d’occulte : Tardieu tombera effectivement quelques mois plus tard, miné par les rivalités internes et les tensions économiques issues de la crise de 1929.
Le Canard moque aussi le prix de la vie, éternel marronnier de ses colonnes. « La vie baissera-t-elle ? — Celle des gens mariés, oui... à coups de revolver », répond l’oracle. L’humour noir vise autant les drames conjugaux que les promesses économiques creuses. Les « carnets de tickets d’autobus » y deviennent symbole de l’inflation et du luxe populaire : voyager en tramway, dernier chic de l’année !
Les prévisions mondaines tournent à la farce. Maurice Dekobra, romancier à succès, « publiera un nouveau roman » ; Guy de Téramond « fera du music-hall » ; Clemenceau, décédé depuis un mois, « paraîtra encore 47 volumes de souvenirs » — la satire de l’hyperproduction éditoriale frôle ici le burlesque. Même Joséphine Baker est convoquée dans une prophétie mêlant exotisme et célébrité, miroir de la fascination parisienne pour les vedettes venues d’ailleurs.
L’actualité judiciaire et politique est également passée à la moulinette : l’affaire Almazian, celle de la « femme coupée en morceaux », ou encore les extravagances de Mme Hanau, papesse de la finance véreuse, reviennent sous la forme de prédictions délirantes. M. Chiappe, préfet de police, « interdira le tout à l’égout dans la région parisienne », annonce la voyante : une façon de rire des lubies autoritaires du « préfet des mœurs » et de ses mesures de maintien de l’ordre.
Et puisque le ciel des devins reste capricieux, Salardenne conclut sur la météo — en consultant deux météorologues, l’un pessimiste, l’autre optimiste : « de sorte que, d’un côté ou de l’autre, vous connaîtrez la vérité ». L’ultime pirouette revient à une référence littéraire : « à moins qu’il n’y ait, en 1930, pas de temps du tout », clin d’œil à Lautrec et à l’absurde modernité du siècle naissant.
En réalité, ce texte de début d’année est un miroir moqueur du journalisme divinatoire, toujours prompt à remplir les colonnes de janvier. En 1930, la crise mondiale commence à secouer la France, mais Le Canard choisit le rire plutôt que les lamentations. Sous le couvert de la voyance, il livre un bulletin de santé ironique de la République, où les « prédictions » sont moins mensongères que les discours officiels.





