N° 715 du Canard Enchaîné – 12 Mars 1930
N° 715 du Canard Enchaîné – 12 Mars 1930
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12 mars 1930 — Les ministres de la “bonne humeur” font grise mine
Pierre Bénard invente le premier “gouvernement du désespoir”
Dans Le Canard enchaîné, Pierre Bénard dresse un portrait hilarant du cabinet Tardieu, où chaque ministre rivalise de pessimisme. Péret s’installe dans un arbre, Maginot pleure ses boutons de guêtres, Laval prédit deux millions de chômeurs. Sous la comédie, une réalité plus amère : la France de 1930 s’enfonce dans la crise, et le Canard enregistre, avec un humour féroce, les rires nerveux d’une République à bout de souffle.
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Les ministres du gouvernement de la bonne humeur nous en promettent de belles
Une semaine après avoir baptisé le nouveau cabinet Tardieu « ministère du Mardi gras », Le Canard enchaîné revient à la charge. Dans l’édition du 12 mars 1930, Pierre Bénard signe un texte d’un humour noir réjouissant : « Les ministres du gouvernement de la bonne humeur nous en promettent de belles. » Sous la plume acérée du chroniqueur, la « bonne humeur » du gouvernement devient le masque d’une catastrophe annoncée.
Le décor : la France de 1930, secouée par les premiers contrecoups de la crise économique mondiale. La Bourse s’effondre, l’emploi recule, les finances publiques sont fragiles — et pourtant, André Tardieu, président du Conseil, vante son équipe comme celle du réalisme souriant et du redressement. Bénard, fidèle à sa méthode, retourne la propagande comme un gant : son article met en scène des ministres plus déprimés que jamais, chacun livrant, sous couvert d’entretien, une litanie de désastres.
Premier à parler, Raoul Péret, garde des Sceaux, est trouvé « installé sur le premier arbre du parc du ministère » : image absurde d’une Justice perchée et impuissante. Il s’exclame : « La magistrature, elle est pourrie, c’est comme a eu l’honneur de vous le dire ce vieux Barthou ! » Tout y passe : institutions corrompues, tribunaux démoralisés, juges désabusés. Le rire du Canard vient de ce renversement : les ministres censés rassurer confessent leur impuissance avec un cynisme complet.
Vient ensuite Maginot, ministre de la Guerre, qui n’a pas plus d’optimisme : « Tous les boutons de guêtres manquent, notre armée est en pleine décomposition. » Puis Pierre Laval, alors ministre du Travail, prévient que « les assurances sociales sont dans le seau » et que « deux millions de chômeurs » sont à prévoir avant la fin de l’année. Fernand David, à l’Agriculture, ajoute que « le franc ne sauvera pas l’épi », tandis que Flandin, au Commerce, annonce que « notre commerce est dans le trente-sixième dessous ». Enfin, Mallarmé, ministre des Postes et Télégraphes, conclut sinistrement : « Bientôt, on ne pourra plus téléphoner nulle part. »
La caricature est si outrée qu’elle en devient prophétique. Derrière la verve de Bénard, on devine le vrai diagnostic du Canard : la République sombre dans le déni, incapable de répondre à la crise autrement qu’en plaisantant. Même le loyal Eugène Lautier, ministre des Beaux-Arts, confie que « notre littérature est en pleine décadence », les livres étant désormais « faits dans les prisons ».
Cette suite d’aveux imaginaires compose un tableau surréaliste du pouvoir : un orchestre ministériel où chaque instrument joue sa propre plainte. En multipliant les fausses citations, Bénard fait du désenchantement une musique comique. Le dernier mot revient à un certain M. Rollin, qui résume la situation : « On va avoir une période d’emmm… que ça en sera une bénédiction. »
Sous le rire, Le Canard capte l’humeur d’un pays désabusé. La France de 1930 s’avance, entre ironie et inquiétude, vers les années sombres de la décennie. Le « gouvernement de la bonne humeur » aura tenu sa promesse : il aura fait rire – jaune.





